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pour observer ce qui se passe dans la peuplade | et venir leur en rendre compte. Quelle consolation pour lui de se revoir au milieu de ses chers néophytes, dont le nombre est augmenté par ses soins, et de se retrouver dans un lieu où, par les pieuses libéralités des personnes qui s'intéressent pour la conversion de tant de nations infidèles, il trouve de quoi rétablir ses forces pour s'appliquer avec une nouvelle ardeur à leur instruction!

Il est certain que ces travaux surpassent les forces humaines, et qu'il ne seroit pas possible d'y résister si l'on n'étoit pas soutenu d'une force toute divine. Il n'est pas moins étonnant que parmi un si grand nombre de missionnaires qui travaillent depuis tant d'années dans ces laborieuses missions, on n'en compte que trois ou quatre qui aient succombé aux fatigues, et que la plupart, après y avoir travaillé vingtcinq et trente ans, conservent autant de force et de vigueur que ceux qui jouissent en Europe de toutes les commodités de la vie. Tel étoit le père Jean-Baptiste de Zea, qui a passé la plus grande partie de sa vie à cultiver ces nations infidèles et qui à l'âge de soixante-cinq ans ne paroissoit pas en avoir quarante.

La férocité de ces peuples et les peines extraordinaires qu'il faut se donner pour les réduire sous le joug de la foi ne sont pas capables de rebuter un homme vraiment apostolique. Il trouve en ce pays-ci d'autres obstacles à vaincre qui le contristent davantage et qui affligent sensiblement son cœur.

Le premier obstacle vient du côté des Espagnols qui ont leurs habitations peu éloignées des nations indiennes dont on entreprend la conversion. Quoiqu'en général la nation espagnole se distingue parmi les autres nations par sa piété et par son attachement sincère à la religion, on ne peut dissimuler que dans la multitude des membres qui la composent, il ne s'en trouve, comme ailleurs, dont les mœurs sont peu réglées et qui démentent la sainteté de leur foi par des actions criminelles. Le voisinage des villes espagnoles y attire les Indiens pour leur petit commerce; et comme ces esprits grossiers sont plus susceptibles des mauvaises impressions que des bonnes, ils ne sont attentifs qu'aux dérèglemens dont ils sont témoins et dont à leur retour ils font part à leurs compatriotes; de sorte que quand le missionnaire leur expliquoit les points de la loi chrétienne, ou qu'il leur faisoit des ré

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primandes sur l'inobservation de quelques articles de cette loi : « Vous nous traitez avec bien de la dureté, lui répondoient-ils ; pourquoi nous défendez-vous, à nous autres qui sommes nouvellement chrétiens, ce qui se permet à ceux de votre nation, qui sont nés et qui ont vieilli dans le sein du christianisme? »

Quelques fortes raisons qu'on employât pour réfuter ce faux raisonnement, un pareil préjugé, secondé par leur penchant naturel au vice, avoit pris un tel empire sur les esprits qu'on avoit toutes les peines du monde à le détruire. C'est pour cela qu'on a transporté quelques peuplades de ces néophytes le plus loin des villes espagnoles qu'il a été possible; c'est pour la même raison que depuis plus d'un siècle les rois d'Espagne ont porté les ordonnances les plus sévères, par lesquelles ils défendent à tout Espagnol de mettre le pied dans les anciennes peuplades des Indiens Guaranis, à la réserve des gouverneurs et des prélats ecclésiastiques qui, par le devoir de leurs charges, sont obligés d'en faire la visite.

L'esprit d'intérêt et l'envie démesurée de s'enrichir qui régnoit parmi quelques négocians étoit un autre obstacle très-nuisible au progrès de la foi. Ces hommes insatiables de richesses entroient à main armée dans les terres des Indiens, tuoient impitoyablement ceux qui se meltoient en devoir de leur résister, ils enlevoient les autres, ils alloient même jusqu'à arracher les enfans du sein de leur mère, et ils conduisoient au Pérou cette foule de malheureux liés et garottés, où il les employoient comme des bêtes de charge aux mines et aux travaux les plus pénibles, ou bien ils les vendoient dans des foires publiques.

C'étoit pour s'autoriser dans un si indigne trafic qu'ils publioient que ces Indiens n'avoient de l'homme que la figure, que c'étoient de véritables bêtes dépourvues de raison et incapables d'être admis au baptême et aux autres sacremens. Ces bruits calomnieux se répandoient avec tant d'affectation et de scandale pour les gens de bien que de saints évêques, el entre autres don Juan de Garcez, évêque d'Ascala, en informèrent le pape Paul III, qui déclara, par une bulle spéciale, que les Indiens étoient des hommes raisonnables qu'on devoit instruire des vérités chrétiennes, ainsi que les autres peuples de l'univers, et leur conférer les sacremens. Indos ipsos, utpote veros homines, non solum

Christianæ fidei capaces existere decerrimus et déciaramus, etc.

Les rois catholiques ne purent apprendre sans indignation des excès si crians et si contraires à l'humanité. Ils défendirent par de fréquens édits, sous les peines les plus grièves, ce commerce inique; ils ordonnèrent, sous les mêmes peines, qu'on unit et qu'on incorporât les Indiens à la couronne, et qu'ils fussent regardés et traités de même que le reste de leurs sujets, avec injonction expresse aux vice-rois et aux gouverneurs de tenir la main à l'exécution de ces édits et d'en rendre compte à la cour. Nonobstant ces ordonnances réitérées, qui étoient encore assez récentes lorsqu'on commençoit à établir les premières peuplapes chez les Chiquites, il se forma au Pérou une compagnie de marchands d'Europe qui faisoient cet abominable commerce. Le père de Arce, qu'on peut regarder comme le fondateur de ces nouvelles missions, étoit un homme que ni la crainte ni aucune considération humaine ne pouvoient retenir quand il s'agissoit des intérêts de Dieu. Ne pouvant souffrir que son ministère fût ainsi troublé et qu'on violât impunément les lois les plus sacrées de l'humanité et de la religion, il se plaignit amèrement à l'audience de Chuquisaca de l'infraction des ordonnances royales.

Ces marchands étoient soutenus et protégés par une personne très-riche et très-accréditée, et ce tribunal, par une fausse crainte de troubler la paix, fermoit les yeux sur un si grand désordre; il n'eut pas même la force de rien statuer, et il se contenta de renvoyer l'affaire au vice-roi du Pérou, qui est en même temps capitaine général de tous ces royaumes; c'étoit alors le prince de Santo-Bueno.

Ce seigneur, plein de religion et de piété, prit à l'instant les mesures les plus efficaces et les plus promptes pour remédier au mal. II envoya ses ordres, qui portoient confiscation de tous les biens et bannissement de la province pour quiconque oseroit faire désormais quelque entreprise sur la liberté des Indiens; et pour ce qui est des gouverneurs qui toléreroient un abus si criminel, il les condamnoit à être destitués de leurs charges et à une amende de douze mille piastres. Des ordres si précis mirent fin à cet infâme trafic, et les Indiens, plus tranquilles, furent délivrés de toute vexation.

Un autre obstacle encore plus préjudiciable à la conversion de ces nations infidèles, et qui traversoit continuellement le zèle des missionnaires, venoit de la part des Mamelus du Brésil. Peut-être n'avez-vous jamais entendu parler de ces peuples, et il est à propos, monsieur, de vous les faire connoître.

Dans le temps que les Portugais firent la conquête du Brésil, ils y établirent plusieurs colonies, une entre autre qui se nommoit Piratiningua, ou, comme d'autres l'appellent, la ville de Saint-Paul. Ses habitans, qui n'avoient point de femmes d'Europe, en prirent chez les Indiens. Du mélange d'un sang si vil avec le noble sang portugais naquirent des enfans qui dégénérérent dans la suite et dont les inclinations et les sentimens furent bien opposés à la candeur, à la générosité et aux autres verlus de la nation portugaise. Ils tombèrent peu à peu dans un tel décri, par le débordement de leurs mœurs, que les villes voisines auroient cru se perdre de réputation si elles eussent continué d'avoir quelque communication avec la ville de Saint-Paul; et quoique ses habitans fussent originairement Portugais, elles les jugèrent indignes de porter un nom qu'ils déshonoroient par des actions infâmes et les appellent Mamelus 1.

Il fut un temps qu'ils demeurèrent fidèles à Dieu et à leur prince par les soins du père Anchieta et de ses compagnons, qui avoient un collége fondé dans cette ville; mais trouvant dans ces pères une forte digue qui s'opposoit à leurs déréglemens, ils prirent le parti de la rompre, et pour se délivrer de ces importuns censeurs de leurs vices, ils les chassèrent de leur ville. A leur place ils y admirent la lie de toutes les nations; leur ville devint bientôt l'asile et le repaire de quantité de brigands, italiens, soit hollandois, espagnols, etc., qui en Europe s'étoient dérobés aux supplices que méritoient leurs crimes ou qui cherchoient à mener impunément une vie licencieuse. La douceur du climat, la fertilité de la terre, qui fournit toutes les commodités de la vie, servoient encore à augmenter leurs penchans pour toutes sortes de vices.

soit

Du reste il n'est point aisé de les réduire : leur ville est située à treize lieues de la mer, sur un rocher escarpé, environnée de précipices:

↑ A l'instar des Mameloucs de l'Égypte.

on n'y peut grimper que par un sentier fort étroit où une poignée de gens arrêteroient une armée nombreuse; au bas de la montagne, sont quelques villages remplis de marchands par le moyen desquels ils font leur commerce. Cette heureuse situation les entretient dans l'amour de l'indépendance; aussi n'obéissentils aux lois et aux ordonnances émanées du trône de Portugal qu'autant qu'elles s'accordent avec leurs intérêts, et ce n'est que dans une nécessité pressante qu'ils ont recours à la protection du roi ; hors de là ils n'en font pas grand compte.

Ces brigands, la plupart sans foi ni loi et que nulle autorité ne pouvait retenir, se répandoient comme un torrent débordé sur toutes les terres des Indiens, qui, n'ayant que des flèches à opposer à leurs mousquets, ne pouvoient faire qu'une faible résistance. Ils enlevoient une infinité de ces malheureux pour les réduire à la plus dure servitude. On prétend (ce qui est presque incroyable) que dans l'espace de cent trente ans, ils ont détruit ou fait esclaves deux millions d'Indiens, et qu'ils ont dépeuplé plus de mille lieues de pays jusqu'au fleuve des Amazones. La terreur qu'ils ont répandue parmi ces peuples, les a rendus encore plus sauvages qu'ils n'étoient et les a forcés ou à se cacher dans les antres et le creux des montagnes ou a se disperser de côté et d'autre dans les endroits les plus sombres des forêts.

Les Mamelus, voyant que par cette dispersion leur proie leur échappoit des mains, eurent recours à une ruse diabolique dont les missionnaires ressentent encore aujourd'hui le contre-coup par la défiance qu'elle a jetée dans l'esprit de ces peuples. Ils imitèrent la conduite que tenoient ces hommes apostoliques pour gagner les infidèles à Jésus-Christ. Trois ou quatre de ces Mamelus se travestirent en jésuites; l'un d'eux prenoit le titre de supérieur et les autres le nommoient Payguasu, qui signifie grand père, en la langue des Guaranis ; ils plantoient une grande croix et montroient aux Indiens des images de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge; ils leur faisoient présent de plusieurs de ces bagatelles, que ces peuples estiment; ils leur persuadoient de quitter leur misérable retraite pour se joindre à d'autres peuples et former avec eux une nombreuse peuplade où ils seroient plus en sûreté. Après les avoir rassemblés en grand nombre, ils les

amusoient jusqu'à l'arrivée de leurs troupes; alors ils se jetoient sur ces misérables, ils les chargeoient de fers et les conduisoient dans leur colonie.

Le premier essai de leurs brigandages se fit sur les peuplades chrétiennes qu'on avoit établies d'abord vers la source du fleuve Paraguay, dans la province de Guayra; mais ils ne retirèrent pas de grands avantages de la quantité. d'esclaves qu'ils y firent on a vu un registre authentique où il est marqué que de trois cent mille Indiens qu'ils avoient enlevés dans l'es pace de cinq ans, il ne leur en restoit pas ving mille. Ces infortunés périrent presque tous, ou de misère dans le voyage ou des mauvais traitemens qu'ils recevoient de ces maîtres impitoyables, qui les surchargeoient de travaux, soit aux mines, soit à la culture des terres; qui leur épargnoient les alimens et qui les faisoient souvent expirer sous leurs coups.

La fureur avec laquel les Mamelus désoloient les peuplades chrétiennes obligea les missionnaires de sauver ce qui restoit de néophytes et de les transplanter sur les bords des rivières Parana et Uruguay, où ils sont établis maintenant dans trente et une peuplades. Quoique éloignés d'ennemis si cruels, ils ne se trouvèrent pas à couvert de leurs fréquentes irruptions. Mais ces hostilités ont enfin cessé depuis que les rois d'Espagne ont permis aux néophytes l'usage des armes à feu et que dans chaque pcuplade on en dresse un certain nombre à tous les exercices militaires. Ces Indiens se sont rendus redoutables à leur tour, et ils ont remporté plusieurs victoires sur les Mamelus.

La seule précaution que l'on prend, c'est de conserver ces armes dans des magasins et de ne les mettre entre les mains des Indiens que quand il est question de défendre leur pays ou de combattre pour les intérêts de l'état, car ces troupes sont toujours prêtes à marcher au premier ordre du gouverneur de la province, et en différens temps ils ont rendu les plus signalés services à la couronne d'Espagne; c'est ce qui leur a attiré de grands éloges, que le roi dans diverses patentes a faits de leur fidélité et de leur zèle pour son service,-avec des grâces singulières et des priviléges qu'il leur a accordés et qui ont même excité la jalousie des Espagnols.

La diversité des langues qui se parlent parmi ces différentes nations est un dernier obstacl

très-difficile à surmonter, et qui fournit bien de quoi exercer la patience et la vertu des ouvriers évangéliques. On aura peine à croire. qu'à chaque pas on trouve de petits villages de cent familles tout au plus, dont le langage n'a aucun rapport à celui des peuples qui les environnent. Lorsque, par ordre du roi Philippe IV, le père d'Acugna et le père d'Artieda parcoururent toutes les nations qui sont sur les bords du fleuve des Amazones, ils trouvèrent au moins cent cinquante langues plus différentes entre elles que la langue espagnole n'est différente de la langue françoise. Dans les peuplades établies chez les Moxes, où il n'y a encore que trente mille Indiens convertis à la foi, on parle quinze sortes de langues qui ne se ressemblent nullement. Dans les nouvelles peuplades des Chiquites, il y a des néophytes de trois ou quatre langues différentes; c'est pourquoi, afin que l'instruction soit commune, on a soin de leur faire apprendre la langue des Chiquites.

Lorsqu'on avancera davantage chez les autres nations, il faudra bien s'accommoder à leur langage; ainsi les nouveaux missionnaires, outre la langue des Chiquites, seront obligés d'apprendre encore la langue des Morotocos, qui est en usage parmi les Indiens Zamucos, et celle des Guarayens, qui est la même qu'on parle dans les anciennes missions des Indiens Guaranis.

vengeance, impureté et tant d'autres vices si fort enracinés dans le cœur de ces nations infidèles. Nul esprit d'intérêt parmi eux, et avec ce vice, combien d'autres ne sont-ils pas bannis! J'ose assurer, sans que je craigne qu'on m'accuse d'exagération, que ces hommes, adonnés autrefois aux vices les plus grossiers, retra cent à nos yeux après leur conversion l'innocence et la sainteté des premiers fidèles. »

« Il me seroit difficile de vous exprimer, dit un autre missionnaire, avec quelle assiduité et quelle ardeur ils assistent à tous les exercices de piété. Ils ont un goût singulier à entendre expliquer les vérités de la religion, et ces vérités produisent dans leurs cœurs les plus grands sentimens de componction. >>

C'est l'usage dans ces missions, lorsque la prédication est finie, de prononcer à haute voix. un acte de contrition qui renferme les motifs les plus capables d'exciter la douleur d'avoir offensé Dieu; pendant ce temps-là l'église retentit de leurs soupirs et de leurs sanglots. Ce vif repentir de leurs fautes est suivi assez souvent d'austérités et de macérations, qu'ils porteraient à l'excès si l'on ne prenoit pas le soin de les modérer.

C'est surtout au tribunal de la pénitence qu'on connoît jusqu'où va la délicatesse de leur conscience: ils fondent en larmes en s'accusant de faules si légères qu'on doute quelquefois si elles sont matière d'absolution; s'il leur échappe quelque faute, quoique peu considérable, ils quittent sur-le-champ leurs occupations les plus pressantes pour se rendre à l'église et s'y purifier par le sacrement de pénitence.

Vous ne disconviendrez pas, monsieur, qu'il ne faille s'armer d'un grand courage pour se roidir contre tant de difficultés et être animé d'un grand zèle pour se livrer à tant de peines et de dangers. Mais un missionnaire en est bien dédommagé et il a bientôt oublié ses fatigues lorsqu'il a la consolation de voir toutes les vertus chrétiennes pratiquées avec ferveur par des hommes qui peu auparavant n'avoient presque rien d'humain et qui n'étoient occupés qu'à contenter leurs appétits brutaux. Il ne faut qu'entendre parler ces hom-couvrent, ce qui est assez rare, que quelqu'un mes apostoliques.

<<< Il n'est rien, disoit l'un d'eux, qu'on ne souffre volontiers pour le salut de ces Indiens, quand nous sommes témoins de la docilité de nos néophytes, de l'ardeur et de l'affection qu'ils ont pour tout ce qui concerne le service de Dieu et de leur fidèle obéissance à tout ce qu'ordonne la loi chrétienne. Ils ne savent plus ce que c'est que fraude, larcin, ivrognerie,

On fait choix dans chaque peuplade de quelques néophytes les plus anciens et les plus respectés pour y maintenir le bon ordre. Il y en a parmi eux qui sont chargés de veiller à la conduite et aux mœurs des néophytes; car il ne faut pas croire que, dans la multitude, il ne s'en trouve quelquefois qui se démentent. S'ils dé

ait commis quelque faute scandaleuse, on le revêt d'un habit de pénitent, on le conduit à l'église pour demander publiquement pardon à Dieu de sa faute et on lui impose une pénitence sévère. Non-seulement le coupable se soumet à cette réparation avec docilité, mais quelquefois on en voit d'autres, et même des catéchumènes, qui, ayant commis secrètement la même faute qui n'est connue que d'eux seuls, viennent

s'en accuser publiquement avec larmes, et prient | qui portent dans leurs mains les divers instru

avec instance qu'on leur impose la même pénitence.

Lorsqu'on les admet à la table eucharistique, ils ne s'en approchent qu'après une longue et fervente préparation, et ils s'étudient à conserver le fruit de la grâce qu'ils ont reçue. Quand quelque temps après on leur demande s'ils ne se sont point rendus coupables des mêmes fautes dont ils s'étoient accusés avant la communion, ils sont surpris qu'on leur fasse une parcille question ; « Se peut-il faire, répondentils, qu'après avoir été nourri de la chair de Jésus-Christ, on retombe dans les mêmes fautes?

Trois fois le jour, le matin, à midi et sur le soir, toute la jeunesse s'assemble pour chanter à deux chœurs des prières très-dévotes et pour répéter les instructions qu'on leur a faites de la doctrine chrétienne. Rien n'est plus édifiant que le silence et la modestie avec laquelle ils assistent aux offices des dimanches et des fèles. Lorsqu'ils vont dès le matin au travail et qu'ils reviennent le soir à la peuplade, ils ne manquent jamais d'adorer le Saint-Sacrement et de saluer la sainte Vierge, qu'ils regardent comme leur mère et pour laquelle ils ont la plus tendre dévotion; ils célèbrent ses fêtes avec pompe et au son de leurs instrumens. Ils se feroient scrupule de commencer aucune action sans se munir auparavant du signe de la croix.

A la nuit fermante, et lorsque le travail cesse, toutes les rues de la peuplade retentissent de pieux cantiques que chantent les jeunes garçons et les jeunes filles, tandis que les hommes et les femmes séparément récitent le chapelet à deux chœurs,

C'est surtout aux grandes solennités qu'ils font éclater davantage leur piété. Dans les temps destinés par l'Eglise à rappeler le souvenir des souffrances du Sauveur dans sa Passion, ils tâchent d'en représenter toute l'histoire et d'exprimer au dehors les sentimens de pénitence et de componction dont ils sont pénétrés. Le jeudi saint au soir, après avoir entendu le sermon de la Passion, ils vont processionnellement à une espèce de Calvaire; les uns portent sur leurs épaules de pesantes croix, les autres ont le front ceint de couronnes d'épines; il y en a qui marchent les bras étendus en forme de croix; plusieurs pratiquent d'autres œuvres de pénitence. La marche est fermée par une longue suite d'enfans qui vont deux à deux et

mens des souffrances du Sauveur. Quand ils sont arrivés au Calvaire, ils se prosternent au pied de la croix, et après avoir renouvelé les divers actes de contrition, d'amour, d'espérance, etc., ils font une protestation publique d'une fidélité inviolable au service de Dieu.

Lorsque la Fête-Dieu approche, ils se préparent quelques jours auparavant à la célébrer avec toute la magnificence dont leur pauvreté les rend capables. Ils vont à la chasse et tuent le plus qu'ils peuvent d'oiseaux et de bêtes féroces; ils ornent la face de leurs habitations de branches de palmier entrelacées avec art les unes dans les autres, avec des bordures des plus belles fleurs de leurs jardins et des plumages de différentes couleurs ; ils dressent des arcs de triomphe à une certaine distance les uns des autres, qui, quoique champêtres, ne laissent pas d'avoir leur agrément ; ils jonchent de feuilles et de fleurs toutes les rues où doit passer le Saint-Sacrement, et ils placent d'espace en espace les bêtes qu'ils ont tuées, tels que sont des cerfs, des tigres, des lions, etc., voulant que toutes les créatures rendent hommage au souverain maître de l'univers qui les a créés ; ils exposent vis-à-vis de leurs maisons le maïs et les autres grains dont ils doivent ensemencer leurs terres, afin que le Seigneur les bénisse à son passage; enfin, par la modestie et la piété avec laquelle ils suivent la procession, ils donnent un témoignage authentique de leur foi envers ce grand mystère de l'amour de Dieu pour les hommes. Plusieurs des infidèles du voisinage, qu'ils invitent d'ordinaire à assister à cette cérémonie, touchés d'un si religieux spectacle, renoncent à leur infidélité, demandent à se fixer dans la peuplade et à être admis au rang des catéchumènes

Ce qui remplit ces bons neophytes d'une tendre reconnoissance envers le Seigneur, c'est la comparaison qu'ils font souvent de la douce liberté des enfans de Dieu, dont ils jouissent, avec la vie féroce et brutale qu'ils menoient sous l'empire tyrannique du démon. C'est aussi ce qui leur inspire un zèle ardent pour procurer le même bonheur aux autres nations infidèles, même à celles pour lesquelles, dans le temps de leur infidélité, ils avoient hérité de leurs pères et sucé avec le lait une haine implacable.

Outre ceux qui accompagnent les mission

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