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la nature finie? et cependant l'amour qui disparaîtra avant que la haine disparaisse a déjà rendu la mort impossible, et affirme hautement qu'il n'est pas mortel, mais qu'il est sorti des profondeurs de l'Être absolu et inépuisable.

VIII

COMPENSATION.

Depuis l'âge où j'étais enfant, j'ai toujours souhaité d'écrire un discours sur la compensation, car il me semblait, lorsque j'étais jeune, que la vie, sur ce sujet, était un meilleur maitre que la théologie, et que le peuple en savait plus là-dessus que n'en enseignaient les prédicateurs. Les documents aussi, d'où on pouvait tirer cette doctrine, charmaient mon imagination par leur infinie variété, et étaient toujours placés sous mes yeux, même dans mon sommeil : car ces documents, ce sont les outils qui sont entre nos mains, le pain placé dans notre corbeille, les faits de la rue, la ferme, la maison domestique, les rencontres, les relations, les dettes et le crédit, l'influence du caractère, la nature et les dons de tous les hommes. Il me semblait que cette doctrine pourrait montrer aux hommes un rayon de la Divinité, l'action toujours présente de l'âme du monde pure de tous les vestiges de la tradition, et qu'elle pourrait baigner dans une inondation d'éternel amour le cœur de l'homme et le faire converser avec l'Être qu'il sait avoir toujours été, devoir être toujours, parce qu'il est en réalité maintenant. Il me semblait encore que si cette doctrine était exprimée en termes qui eussent quelque ressemblance avec ces brillantes intuitions par lesquelles cette vérité se révèle souvent à nous, elle serait une étoile qui, dans bien des heures ténébreuses et des passages difficiles de notre voyage, nous empêcherait de perdre notre route.

Dernièrement, comme j'écoutais un sermon à l'église, je sentis mon désir s'accroître encore. Le prédicateur, homme estimé pour son orthodoxie, exposait de la manière habituelle la doctrine du jugement dernier. Il expliqua comment la justice n'a pas tout son cours en ce monde, établit que les méchants sont heureux, les bons misérables, et tira de la raison et de l'Écriture les preuves qui forçaient à croire à une compensation dans la vie future. Cette doctrine ne parut exciter parmi les assistants aucune récrimination, et l'assemblée se dispersa, sans que j'eusse remarqué que personne fit une ́observation sur ce sermon.

Cependant quel était le sens de ce discours, que voulait dire le prédicateur en établissant que les bons sont misérables dans la vie présente. Voulait-il dire par là que les maisons, les terres, les places, le vin, les chevaux, les somptueux vêtements, le luxe sont entre les mains des hommes sans principes, tandis que les saints sont pauvres et méprisés, et qu'une compensation, qui leur donnerait plus tard les mêmes biens, les billets de banque et les doublons, le gibier et le vin de Champagne, leur est bien due. Cette compensation doit être celle dont il entendait parler, car si ce n'est pas celle-là, quelle est-elle? Consiste-t-elle en ce qu'il leur sera permis de prier et de bénir, d'aimer et de servir les hommes? mais c'est ce qu'ils font déjà maintenant. La légitime induction qu'un disciple eût pu tirer de cette doctrine était celle-ci : « Nous aurons le même bon temps dont jouissent maintenant les pécheurs; - ou bien, pour pousser jusqu'aux dernières conséquences,-« vous péchez maintenant, nous pécherons plus tard; nous pécherions maintenant si nous pouvions; mais n'étant pas assez heureux pour pouvoir pécher aujourd'hui, nous prendrons notre revanche demain. >>

L'erreur de cette doctrine consiste dans cette immense

concession que les méchants sont toujours heureux, que la justice n'a pas son cours immédiatement. L'aveuglement du prédicateur consistait à estimer le succès viril au vil prix des marchés, au lieu de confronter le monde avec la vérité, et de le réfuter par là, en établissant la présence éternelle de l'àme, l'omnipotence de la volonté, au lieu de distinguer ainsi les étendards du bien et du mal, du succès et du mensonge, et de sommer les morts à comparaître devant son tribunal.

Je trouve le même ton misérable dans les livres populaires sur la religion, écrits de nos jours, et les mêmes doctrines acceptées par les hommes littéraires lorsqu'ils traitent de sujets analogues. Je pense que notre théologie populaire a gagné en décorum, mais non pas en principe, sur les superstitions qu'elle a renversées. Mais les hommes sont meilleurs que cette théologie. Leur vie journalière lui donne un démenti. Chaque àme ingénieuse et pleine d'aspirations laisse cette doctrine derrière elle ensevelie dans les limbes de son expérience passée; et tous les hommes sentent quelquefois la fausseté qu'ils ne pourraient démontrer, car les hommes sont meilleurs qu'ils ne le pensent. Ce qu'ils écoutent sans arrièrepensée, et ce qu'ils acceptent sans réflexion dans les écoles et au pied des chaires, s'ils l'entendent exprimer dans la conversation, ils l'interrogeront probablement dans le silence de leur pensée. Un homme qui dogmatise dans une compagnie mélangée, sur la Providence et les lois divines, obtient pour toute réponse un silence qui enseigne à un observateur le mécontentement de l'auditeur et en même temps son incapacité à établir par lui-même son opinion.

Dans cet essai et dans l'essai suivant, je rappellerai quelques faits qui peuvent servir à indiquer la manière, dont s'exerce la loi de la compensation; heureux au delà mon attente, si je pouvais seulement dessiner avec

vigueur et exactitude le plus petit arc de ce cercle.

La polarité de l'action et la réaction se rencontrent dans chaque division de la nature : dans les ténèbres et la lumière, dans la chaleur et dans le froid, dans le flux et le reflux des mers, dans les sexes masculins et féminins, dans l'aspiration et l'expiration des plantes et des animaux, dans la systole et la dyastole du cœur, dans les ondulations des fluides et du son, dans les forces centrifuges et centripètes, dans l'électricité, le galvanisme et l'affinité chimique. Placez l'aimant à un bout de l'aiguille, la force magnétique opposée agit à l'autre bout; si le sud attire, le nord repousse. Pour creuser cette place, il vous faut encombrer celle-là. Un inévitable dualisme divise toute la nature, de sorte que chaque objet est une moitié et en suggère une autre qui doit la compléter : comme esprit, matière; homme, femme; subjectif, objectif; dans, au dehors; au-dessus, au-dessous; mouvement, repos; oui, non.

Le monde ainsi est double, et double est aussi chacune de ses parties. Le système entier des choses est représenté dans chaque parcelle. Il y a quelque chose qui ressemble au flux et au reflux de la mer, au jour et à la nuit, à l'homme et à la femme, dans une simple pomme de pin, dans un grain de blé, dans chaque individu du règne animal. La réaction, si grande dans les éléments principaux, se répète dans d'infiniment petites limites. Par exemple, dans le règne animal, les physiologistes ont observé qu'il n'y a pas de créatures privilégiées, mais qu'une certaine compensation balance chaque don et chaque défaut. Un surplus donné d'un côté est payé par une réduction sur quelque autre partie de la même créature. Si la tête et le cou sont plus larges, le tronc et les extrémités sont plus courts.

La théorie des forces mécaniques est un autre exemple. Ce que nous gagnons en puissance est perdu en

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