saillans que ses singularités; et ils eurent plus d'influence sur ses opinions. « Si M. Hobbes, dit Clarendon, eut, dans le cours de sa vie, cultivé davantage la société des hommes de mérite avec lesquels il fut en relation, son caractère en auroit reçu une influence favorable. Il se seroit garanti d'un défaut dont on ne s'affranchit guère dans un âge avancé, celui de ne pouvoir supporter les questions, les objections, et encore moins les contradictions que permettent les convenances sociales. Ses amis regrettoient qu'il eut employé trop de temps à méditer, et trop peu à discuter les divers objets de ses méditations, avec des hommes occupés des mêmes études que lui, et pourvus de connoissances aussi bonnes que les siennes. De cette privation il contracta une certaine morosité qui s'accrut avec les années. Le simple doute que l'on paroissoit former sur ses pensées, l'impatientoit au point qu'il en prenoit une humeur insupportable. Ses amis, pour lui éviter ce sujet d'impatience, et pour n'être plus exposés euxmêmes au désagrément qui leur en revenoit convinrent entr'eux, dans les derniers temps, de ne plus entrer en discussion avec lui, et de ne le contredire jamais en rien. Assurément il y avoit plus de bonne philosophie dans un tel procédé, que dans ceux du philosophe de Malmesbury à leur égard. Ce n'étoit pas seulement dans le commerce ordinaire de la vie qu'il manifestoit cette irritabilité de caractère. Elle parut encore trèssouvent dans ses relations littéraires. La critique la plus modérée et la plus raisonnable ne faisoit que l'opiniâtrer encore davantage à ses paradoxes. Il mettoit à les soutenir, une hauteur et une dureté qui sembloient annoncer en lui la prétention d'établir une espèce de tyrannie dans l'empire des sciences; et cependant c'étoit l'homme du monde le plus con. trariant pour les opinions des autres, cherchant à en tirer des conséquences outrées, et à leur donner des qualifications odieuses. Cette manie le mit vingt ans en guerre avec les plus habiles mathématiciens de son temps, sans compter ses querelles avec les théologiens. Tout cela tenoit à l'idée tropavantageuse qu'il avoit de son mérite, et qui se faisoit appercevoir dans tous ses écrits. Lorsqu'on lui repro. choit ce défaut, il n'en disconvenoit point, mais il ne s'en corrigeoit pas davantage, parce qu'il se regardoit comme bien supérieur à ses contemporains, quoique les Bacon, les Descartes, les Gassendi et quelques autres, fus sent bien en état de lui disputer la palme du génie et du savoir. Malgré tant de bizarreries, il eut de son temps beaucoup de partisans, et même des admirateurs. Il dut les premiers au mérite littéraire de ses écrits, et les derniers au ton dogmatique dont il prononçoit ses oracles, de manière à subjuguer les imaginations foibles, à l'air de nouveauté de ses idées, dont la singularité piquoit la curiosité et favorisoit les passions. On se laissoit surprendre à la confiance avec laquelle il attaquoit les opinions communes, sans se défier de la témérité avec laquelle il cherchoit à détruire celles qui tiennent à la sûreté publique et au bonheur du genre humain. La tournure de ses phrases les rend un peu obscures; mais sa marche vive et serrée entraîne le lecteur. En l'examinant de près, on voit un auteur qui s'embarrasse, qui laisse à tout moment son sujet principal pour se jeter dans des digressions qui dépaysent ceux qu'il a intérêt d'égarer et de séduire. Il paroît d'ailleurs peu instruit en morale et en histoire, fertile en subtilités métaphysiques, qui peuvent servir à prouver le pour et le contre. Sa réputation et même ses défauts donnèrent à ses ouvrages une vogue funeste. Ils furent recherchés et lus avec avidité par les élèves des universités de la GrandeBretagne. « La nouveauté et la hardiesse de ses principes, dit Burnet, attirèrent l'attention, et leur impiété charma les esprits corrompus déjà trop disposés à les recevoir par l'impression qu'y avoit laissée l'horreur et le ridicule des cinq ou six derniers lustres. » Quelques-uns des étudians de Cambridge s'imbibèrent de ses principes erronnés. On vit un jeune bachelier les soutenir avec chaleur dans une thèse publique, et se laisser dépouiller de son grade, plutôt que d'y renoncer. Le scandale que produisit la lecture de livres aussi dangereux, provoqua enfin la condamnation des plus repréhensibles, par le parlement et par l'université d'Oxford. Quoique aucun n'ait directement pour objet d'attaquer la religion, il est néanmoins peu d'auteurs qui lui aient porté plus d'atteintes, et sur un plus grand nombre de vérités. « Je crois, disoit Leibnitz, la lecture de ses ouvrages pernicieuse, parce qu'on y trouve en abondance des erreurs de la plus grande conséquence. » (1) D'habiles écrivains le si (1) Epist. 5, ad Kortholt, tom. 5, p. 304. gnalèrent enfin comme un homme qui s'égare perpétuellement, qui, se perdant dans un dédale de digressions, avance à tout moment des propositions artificieuses; comme un auteur extrême en beaucoup d'endroits, et presque partout outré. Ils dévoilèrent les conséquences dangereuses de ses principes en religion, en morale et en politique; car, suivant la remarque de Hume, sa politique n'est pas moins à étendre l'empire du despotisme, que propre sa morale à encourager la licence. (1) Bramhal, après l'avoir poussé vigoureusement dans un premier écrit sur la question de la liberté, attaqua tout l'ensemble de son système, dans un ouvrage intitulé: la Contagion de Léviathan, où il lui démontroit, par ses propres aveux, qu'un vrai Hobbiste ne peut être, ni un bon chrétien, ni un bon citoyen, et que sous tous les rapports il doit se trouver perpétuellement en contradiction avec lui-même. Tenison, dans l'examen du symbole de M. Hobbes, présenta une analyse très-bien faite de ses principes, avec une réfutation parfaitement raisonnée de ses paradoxes. On vit encore paroître, avec autant (1) The hist. of gr. brit. the commonwealth. |