rendrait la preuve impossible, car nous le voyons n'attribuer à l'évêque de Rome aucune dignité particulière, aucun pouvoir supérieur, et ne le désigner que comme il désignerait tout autre évêque. Damase, évêque de Rome, Syrice, évêque de Rome; voilà tout. Lui écrit-il, c'est sur le pied de la plus entière égalité. « Adieu, frère; aime-nous comme nous t'aimons'. » Voilà comment il termine une lettre à Syrice, et, cela, à une époque où la rudesse de la politesse antique avait fait place à tout un Vocabulaire de formules. Je sais bien que le pape s'intitule encore aujourd'hui Serviteur des serviteurs de Dieu; mais je sais aussi qu'il ne faudrait pas s'aviser, en lui parlant, d'employer ce titre, témoin ce pauvre prêtre qui fut emprisonné pour l'avoir mis, de bonne foi, dans l'adresse d'une supplique. Ambroise n'était pas un pauvre prêtre; mais, pour peu que Syrice eût commencé à être pour lui le pape, il est inadmissible que l'évêque même de Milan n'eût pas employé, en lui parlant, une seule forme, un seul mot qui indiquât une distance entre eux. Dans une autre lettre, Ambroise lui donne le nom de père, mais familièrement, simplement, comme à un collègue plus âgé; il se sert, d'ailleurs, non du mot pater, mais du mot parens, qui n'exprime que l'affection. Une troisième lettre, moins familière, ne dépasse encore en rien les formes officielles des missives entre évêques, entre Eglises; elle n'est 1 Vale, etnos, frater, dilige, quia nos te diligimus. ni plus ni moins humble que la lettre de Syrice à laquelle Ambroise répond. Ambroise dit à Syrice: « Seigneur Frère1; » mais ce mot se retrouve dans ses lettres à d'autres évêques. Ambroise dit à Syrice: «Ta Sainteté; » Syrice, dont la lettre était adressée à plusieurs évêques, avait dit : « Votre Sainteté. » Et de quoi, enfin, s'agissait-il? Syrice communique aux évêques de Ligurie qu'il vient d'excommunier tels et tels; il leur demande d'en faire autant. Ambroise répond que ses collègues et lui ont examiné l'affaire, et qu'il leur a paru bon d'excommunier ces mêmes hommes. Donc, autre fait à noter une excommunication prononcée à Rome n'était pas, par elle-même, exécutoire à Milan. L'évêque de Rome a excommunié dans son diocèse; Ambroise, sur sa demande, a excommunié dans le sien. Un seul passage d'Ambroise a été quelquefois cité comme formellement favorable au siége de Rome. « Ils ne possèdent pas l'héritage de saint Pierre, ceux qui ne possèdent pas le siége de saint Pierre2. » Mais de très-anciens manuscrits, au lieu de sedem, portent fidem, la foi de saint Pierre et non le siége de saint Pierre. Lequel de ces mots est le vrai? Evidemment, le premier. Des copistes romains ont bien pu changer foi en siége; 1 Domine Frater. 2 Non habent Petri hæreditatem qui Petri sedem non habent. mais on ne peut admettre qu'ils eussent changé siége en foi, anéantissant d'un trait de plume un témoignage qui n'eût pas pu ne pas être fameux. Ajoutons que l'auteur, en cet endroit', parle de la foi, nullement de la hiérarchie ou de l'Eglise, et qu'une mention du siége de Pierre tomberait là on ne sait pourquoi. Le mot fidem est rétabli dans toutes les éditions antérieures à celle de 1686, et on s'étonne que les Bénédictins, ordinairement impartiaux, aient pu se décider pour cet autre mot que tout condamne. L'invraisemblance n'en serait-elle pas assez visible par cela seul qu'une assertion si formelle, si grave, ne reparaîtrait nulle part dans les écrits d'Ambroise? Comment admettre qu'il ne fût jamais revenu, en parlant de l'Eglise, sur une idée aussi fondamentale? Mais ce qui est plus décisif encore, c'est l'opinion d'Ambroise sur le fameux passage: « Tu es Pierre.» A-t-il pu parler du Siége de Rome, dans le sens romain de ce mot, s'il n'a pas cru, dans le sens romain, à la primauté de saint Pierre? Cette pierre dont parle Jésus-Christ et qui sera le fondement de l'Eglise, c'est, selon lui, non pas Pierre, l'apôtre Pierre, mais la foi dont saint Pierre a été l'organe, un peu avant, en répondant au maître : « Tu es le Christ, le fils de Dieu. » Cette opinion d'Ambroise est celle de tous les Pères. On l'a nié ; les éditeurs de 1686 reconnaissent pourtant, dans 1 De Pœnitentiâ. Liv. I. Chap. vii. une note', que des écrivains catholiques ont cru ne pas pouvoir le nier. Voilà donc des écrivains catholiques avouant que les Pères n'ont pas considéré la pierre comme représentant saint Pierre; bonne preuve, au moins, que les Pères n'ont pas été explicites sur ce point, et que ce que Rome enseigne avec tant d'assurance n'a été positivement enseigné par aucun d'eux. Ce qui est sûr, c'est qu'Ambroise enseigne tout le contraire. Non-seulement il dit que la pierre, fondement de l'Eglise, est la foi que vient d'exprimer saint Pierre, mais il tire de là une conclusion pratique qui achève d'ôter toute indécision sur sa pensée. « Efforce-toi donc, dit-il au fidèle, d'être, toi aussi, la pierre. Cherche la pierre, non pas hors de toi, mais en toi2. » Belle et grande idée; belle image de cette responsabilité sainte qui pèse, dans l'Eglise, sur chacun de ses membres. Ce que Jésus a dit à Pierre, il l'a dit, en la personne de Pierre, à tous les chrétiens sans exception; ce rôle glorieux dont Pierre venait de se rendre digne en confessant la divinité du Christ, Jésus le confère, en sa personne, à tous ceux qui la confesseront comme lui.-Voilà la pensée d'Ambroise. C'est dans le même esprit qu'il dit ailleurs: «Là où est Pierre, là est l'Eglise. » Lisez ces mots où 1 De Virginitate. Chap. XVI. 2 Enitere ergo ut et tu petra sis. Non extra te, sed intra te, petram require. — Commentaire sur saint Luc. Livre VI. l'auteur les a mis, et vous ne comprendrez plus qu'on ait prétendu les citer dans la question romaine. Ambroise ne parle, en cet endroit, ni de l'Eglise visible, ni de la hiérarchie. Il commente un psaume, le quarantième, et, au milieu d'une suite d'interprétations allégoriques, il cite un trait de la Passion du Christ: saint Pierre qui suit Jésus lorsque Jésus est mené chez Caïphe. Pierre, selon l'auteur, était là le type de l'Eglise accompagnant son divin chef; l'Eglise est donc où est Pierre, c'est-à-dire où sont ceux qui suivent Jésus. Ainsi, dans ce morceau, Pierre est l'Eglise comme il était, dans l'autre, le fondement de l'Eglise: Ambroise ne le considère que comme le type du fidèle, et, ce qu'il dit de Pierre, il le dit de tous. Aucune trace de ce que ces mots semblent dire quand on les reproduit isolément. Ailleurs encore1, commentant cet autre passage dont on a aussi tant profité, ce triple Pais mes brebis» adressé par le Sauveur à saint Pierre, il n'y voit, comme nous, qu'une allusion au triple reniement de cet apôtre2; Pais mes brebis veut dire simplement : « Reprends ta charge d'apôtre, et remplis-la d'autant mieux que tu en as été momentanément indigne3. » Enfin, dans un endroit où il revient à l'image pre 1 De Fide. Livre V. Prologue. 2 Abolevit trinæ negationis errorem. 3 Pascendo bene gregem Christi, culpam lapsûs prioris abolevit. |