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Conclusion: les mesures faites en conformité avec le concept naturel de simultanéité donnent des résultats mathématiquement différents pour deux observateurs (ou mieux pour les observateurs de deux systèmes) en mouvement l'un par rapport à l'autre. Nous en « induisons >> (c'est bien comme cela qu'on dit, n'est-ce pas, en Philosophie ?) nous en induisons que les concepts naturels en question désignent des choses qui sont, en soi, différentes. Personne, fût-il métaphysicien, ne peut aller contre ce raisonnement-là. La simultanéité, physique ou métaphysique (comme vous voulez, car c'est la même) dépend de l'obser

vateur.

Du reste il n'y a pas deux vérités : le temps d'Einstein, c'est le temps de tout le monde, le temps qui régit tous les phénomènes physiques, chimiques et biologiques, qui, tous, peuvent servir d'« horloges ». C'est celui-là qui est relatif 1,

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Voilà pourquoi il faut dire avec M. Langevin qu'un voyageur lancé dans un boulet à une vitesse inférieure de seulement à celle de la lumière, retrouvera, à supposer qu'il puisse revenir sur notre globe, l'humanité vieillie de deux cents ans, tandis que lui-même n'aura vécu que deux années de son temps; son cigare et sa digestion, les mouvements de son cœur et de ses poumons, ses mouvements moléculaires intra-cérébraux, le flux de ses états de conscience, bref tout le rythme de sa vie et tous les événements survenus dans son boulet s'étant ralentis comme sa montre; et la durée réelle du même événement, du voyage en boulet, - mesurée avec des horloges parfaites et exactement

α

1. André METZ, op. cit., p. 94-95. Les mots soulignés sont soulignés par l'auteur. Notons que M. Einstein a tenu à manifester à M Metz sa satisfaction de cette exégèse. Il lui écrit, pour la seconde édition de son livre, non seulement que celui-ci « répond à un véritable besoin », mais que la réfutation des assertions inexactes des autres auteurs » y est «toujours exacte». Nous savons ainsi que la philosophie personnelle d'Einstein est semblable à celle de M. Metz.

synchronisées avant le départ,

ayant été dans un système le centuple de ce qu'elle a été dans l'autre.

9. Que répondre à tout ce discours? Il est si fragile qu'on ne sait par quel bout le prendre sans qu'il vous casse entre les doigts.

Une mesure bien faite nous renseigne sur le réel, certes! (Elle nous apprend que dans telles conditions et moyennant tels procédés, le réel nous fournit tels chiffres). Mais l'interprétation de la mesure, sa signification physique, dépend, comme on l'a dit, de toute la théorie physique 1, et en tout cas de nos idées fondamentales sur la nature. Le critérium de la simultanéité choisi par Einstein ne correspond à notre concept naturel de la simultanéité, que si on regarde comme exprimant vraiment ce qui est (au sens absolu que le métaphysicien donne à ces trois syllabes) le grandissime principe qui commande toute la théorie de la relativité, le principe de l'isotropie de la propagation de la lumière, ou de la constance de la vitesse de la lumière dans toutes les directions, quelle que soit la vitesse du système d'inertie où l'on suppose placé l'observateur : ce qui

1. « Une mesure, si élémentaire soit-elle, écrit très justement M. F. Renoirte, professeur à l'Université de Louvain, implique la théorie physique tout entière, puisque l'instrument, au moyen duquel elle est faite, doit être construit et que ses indications doivent être corrigées en tenant compte de toutes les propriétés physiques.» (La théorie physique, Rev. néo-scol., nov. 1923.) Toute mesure dépend en particulier de la convention de l'invariance de l'étalon. Si l'étalon supposé invariant ne l'est pas en réalité (et il nous est impossible de savoir s'il est en lui-même réellement invariant), une mesure réellement effectuée par nous se trouvera, sans que nous nous en apercevions, ne pas correspondre à ce qui est réellement (c'est-à-dire aux dimensions mesurées à l'aide de l'étalon lui-même de la nature, ou d'un étalon idéal supposé réellement invariant). C'est ainsi que dans l'hypothèse de la contraction de Lorentz, les dimensions des corps et de nos règles changeraient réellement sans que nos mesures nous permettent de le savoir.

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confère à la vitesse de la lumière « la propriété remarquable d'être une vitesse absolue tandis que toute autre n'est que relative », et « nous rappelle », selon le mot d'Eddington, « le symbole transfini Aleph du mathématicien, duquel vous pouvez retrancher n'importe quel nombre et qui reste encore identique à luimême 1».

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Or ce principe n'est qu'un postulat, aussi « pratique » qu'on voudra, nullement démontré cependant. La grande trouvaille d'Einstein a été de le postuler comme moyen par excellence de soumettre le domaine entier de la Physique au « principe de relativité » (principe des mouvements relatifs) qui règne en Mécanique depuis Descartes 2. Il faut beaucoup de candeur pour

1. A. S. EDDINGTON, Espace, Temps et Gravitation, Paris, Hermann, 1921, p. 74.

2. Ce principe énonce qu'étant donnés divers systèmes en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres (systèmes d'inertie), la forme des relations qui traduisent les lois des phénomènes mécaniques est la même pour les observateurs de tous ces systèmes : ce qui revient à dire qu'il est impossible à un observateur placé dans un système de déceler par aucun phénomène mécanique si son système est en mouvement absolu ; et que par rapport aux phénomènes mécaniques tout système d'inertie peut ainsi indifféremment être considéré comme en repos, et les autres comme en mouvement par rapport à lui. C'est là le « principe de relativité » mécanique.

Étendons ce principe à tout l'ordre physique. Nous aurons le principe de relativité physique, qui sous sa forme restreinte (restreinte aux seuls systèmes d'inertie) énonce qu'étant donnés divers systèmes en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres, la forme des relations qui traduisent les lois de tous les phénomènes naturels est la même pour les observateurs de tous les systèmes : en sorte qu'il est impossible à un observateur placé dans un système de déceler par aucun phénomène physique si son système est en mouvement absolu; et que par rapport à tous les phénomènes physiques tout système d'inertie peut ainsi indifféremment être considéré comme en repos, et les autres comme en mouvement par rapport à lui.

Il n'est pas inutile de remarquer avec M. Michel La Rosa que le principe de la constance de la vitesse de la lumière, assumé par Einstein pour étendre à tout le domaine physique le principe de relativité de la Mécanique, va plus loin en réalité que ce principe sainement entendu. « Celui-ci n'exige pas du tout que la vitesse de propagation de la lumière [provenant d'une source extérieure au

s'imaginer que l'expérience de Michelson et les équations fondamentales de l'électro-magnétisme l'imposent comme une conclusion nécessaire. Elles ne l'imposent qu'avec le secours de toute une nichée d'hypothèses présupposées.

train et immobile par rapport à la voie] ait la même valeur pour les deux observateurs [observateur de la voie et observateur du train] il veut seulement que l'observateur O placé sur la voie, lequel expérimente sur la lumière provenant d'une source immobile par rapport à la voie, et l'observateur O' qui se trouve dans le train et expérimente sur la lumière provenant d'une source en repos par rapport au train (et, par suite en mouvement avec le vitesse v de tout le train par rapport à la voie), trouvent des valeurs égales. » (M. LA ROSA, Scientia, 1. X. 23, p. 235.) C'est parce que, supposant d'abord avec Lorentz l'immobilité absolue de l'éther, et voulant après cela accorder avec cette hypothèse le principe de relativité, il entend celui-ci comme affirmant l'impossibilité de déceler le mouvement d'un système d'inertie quelconque par rapport à l'éther, qu'Einstein a posé le principe de la constance de la vitesse de la lumière dans le vide.

Appuyé sur ce principe, il peut alors comprendre le principe luimême de relativité en un sens particulier (au sens particulier de la théorie de la relativité), qui consiste non seulement à dire que les lois de la nature sont les mêmes pour les observateurs de tous les systèmes de référence en translation uniforme, mais encore à choisir comme invariants des éléments tels que leur invariance entraîne nécessairement la variation des dimensions spatiales et temporelles des corps de la nature. [Notons-le encore, à l'appui de la remarque de M. La Rosa: après avoir déclaré (op. cit., trad.franç., p. 11) que dans le cas d'un corbeau s'envolant en ligne droite et d'un mouvement uniforme relativement à un observateur lié au sol, le principe de relativité est satisfait (et par conséquent la loi du mouvement du corbeau est la même pour l'observateur du sol et pour celui d'un train en translation uniforme par rapport au sol) parce que pour l'observateur du train le mouvement du corbeau est encore un mouvement rectiligne et uniforme, bien qu'il soit de vitesse et de direction différentes, Einstein, cinq pages plus loin, déclare que dans le cas d'un rayon lumineux se propageant par rapport à la voie avec une certaine vitesse, le principe de relativité ne serait pas satisfait si la vitesse de la lumière n'était pas la même pour le train et pour la voie. « D'après le principe de la relativité, la loi de propagation de la lumière, de même que toute autre loi, devrait être la même, que l'on choisisse le wagon du train ou la voie comme système de référence... Que sa vitesse par rapport au wagon soit différente, cela est en contradiction avec le principe de relativité. » Il y a là une équivoque sur le mot loi.]

On pourrait dire que la théorie de la relativité est comme un déplacement d'absolu, et elle mériterait d'être appelée, en un certain sens, absolutiste tout autant que relativiste. Si elle fait varier

Le mérite de l'expérience de Michelson1, ce qui a fait sa célébrité, et permis aux coryphées d'Einstein d'en étourdir les oreilles du public, quitte à la traiter ensuite

le temps et les dimensions spatiales avec le mouvement du système de référence, c'est parce qu'elle cherche une représentation du monde indépendante de tout système de référence, un corps de relations, un univers-phénomène qui ait le même privilège d'invari nce absolue que la chose en soi». Sur cet aspect de la théorie de la relativité on trouve dans l'ouvrage déjà cité de M. Eddington des passages particulièrement suggestifs (cf. pp. 38, 39, 57, 222-225). Le principe de relativité physique entendu à la façon des relativistes (cf. P. LANGEVIN, La Physique depuis vingt ans, chap. VI et VIII) est présenté comme une extension par analogie du «principe de relativité géométrique », mais on ne s'aperçoit pas que ce qui, en géométrie, est relatif et varie avec le système d'axes choisi, de manière à assurer l'invariance des propriétés des figures ou leur indépendance à l'égard de tout système d'axes, bref le caractère absolu des figures, ce sont des coordonnées qui ne représentent aucune entité géométrique, mais purement et simplement la distance des points de la figure aux plans des axes. Tandis que les dimensions des corps et le temps sont des éléments réels, des entités mécaniques et physiques. On frappe ainsi de relativité certains éléments réels (temps, dimensions), pour rendre absolues ou invariantes certaines relations (exprimant les lois de la nature). (Un qu'on excuse la grossièreté de la comparaison,

peu,

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comme

si pour maintenir invariante la relation qui mesure la taille apparente de Pierre, on décidait que quand Paul s'éloigne de Pierre, la longueur du métre lui-même dont se sert Paul diminue suivant la même loi que la grandeur apparente de Pierre).

Quant au principe classique de relativité mécanique, sur lequel on s'appuie pour trouver ainsi dans le domaine physique, par voie d'extension progressive, un analogue au « principe de relativité géométrique », il signifie, non pas sans doute qu'il n'y a pas de mouvement absolu (thèse philosophique), mais bien (thèse scientifique) qu'aucun phénomène mécanique, et, en étendant le principe à tout le domaine physique, aucun phénomène physique,

ne peut déceler le mouvement ABSOLU. Ce qui n'entraîne l'impossibilité pour un observateur placé dans un système (d'inertie) de déceler par aucun fait physique le mouvement de ce système RELATIVEMENT à un autre (à l'éther par exemple), que si on a fait d'abord de cet autre système, contrairement au principe de relativité, un système en repos absolu, ou si l'on suppose que tous les faits physiques accessibles à l'observateur dépendent de sources et de milieux entraînés avec lui.

1. On sait que cette célèbre expérience consiste à « comparer le tomps que la lumière met pour parcourir aller et retour la distance qui sépare deux miroirs portés sur un même support, quand la ligne qui joint les miroirs est orientée dans le sens de la translation de la terre sur son orbite et quand elle est orientée dans le sens perpendiculaire à cette translation. En admettant que la terre se

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