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bien qu'il y a à faire, & qu'on fait quelquefois dans ces fortes d'excurfions. Le Miffionnaire, qui eft chargé de cette bonne œuvre, met la paix dans les familles défunies, en terminant leurs petits différens; conclut des mariages pour faire ceffer les commerces illicites, à quoi les efclaves font très-fujets; tâche de leur adoucir les peines attachées à leur état, en les leur faifant envisager fous des vues furnaturelles; prend une connoiffance exacte de leur instruction actuelle, pour disposer peu-à-peu à la communion ceux qu'ils en jugent capables (notre ufage étant de permettre à très-peu de Negres d'approcher de la Sainte-Table, par l'expérience que nous avons qu'ils en font indignes). Il remontre prudemment aux maîtres les fautes dans lefquelles ils tombent quelquefois envers leurs efclaves, foit en ne veillant pas affez fur leur conduite fpirituelle, foit en les furchargeant de travaux injuftes, foit enfin en ne leur donnant pas le néceffaire pour la nourriture & le vêtement, fuivant les fages Ordonnances de nos Rois; il fait mille autres chofes de cette nature, qui font du reffort de fon miniftere, & qui tendent toutes également à la gloire de

Dieu

Dieu & au falut des ames. Il en coûte, à la vérité, beaucoup de faire de pareilles courses dans un pays tel que celui-ci, où lorsqu'on eft en campagne, on eft toujours, ou brûlé par les rayons d'un foleil ardent, ou accablé de pluies violentes mais à quoi ne porte pas un zele bien épuré, & quelles difficul tés ne fait-il pas furmonter !

Cependant, en faifant cette bonne œuvre comme par occafion, car ce n'eft pas-là mon emploi ordinaire, je n'oubliois pas le premier objet de mon voyage. J'avois grand foin de dire aux Negres, , que s'ils pouvoient voir quelques-uns de leurs compagnons marrons, ils les affuraffent que, quoiqu'ils n'euffent pas voulu s'approcher de moi dans le bois, j'avois néanmoins obtenu encore un mois d'amniftie pour eux; mais que fi, pendant cet efpace de temps, ils ne revenoient pas, ils n'avoient plus ni grace, ni pardon à espérer; qu'ils devoient fe perfuader, au contraire, qu'on les pourfuìvroit fans relâche, jufqu'à ce qu'on les eût tous exterminés.

Enfin j'avois fini ma miffion & parcouru toutes les habitations des environs de Tonne - Grande; j'étois même déja embarqué dans mon canot pour Tome VIII.

B

me rendre à Cayenne, un peu confus à la vérité d'avoir échoué dans mon deffein aux yeux des hommes, qui ne jugent ordinairement des chofes que par le fuccès, lorfque je vis venir à moi un autre petit canot nagé par deux jeunes Noirs, porteurs d'une lettre de l'Econome de Mont-Seneri (c'est une fucrerie du quartier), qui me marquoit que les Negres marrons étoient arrivés chez lui, & qu'ils me demandoient avec empreffement. J'y vole avec plus d'empreffement encore qu'ils n'en avoient eux-mêmes, & j'en trouve en effet déja une vingtaine qui m'affurent que les autres font en chemin pour fe rendre. Quelle agréable furprise pour moi, mon Révérend Pere, de voir mes vœux accomplis, lorfque je m'en croyois le plus éloigné! Après avoir verfé quelques larmes de joie fur ces brebis égarées depuis fi long-temps, & qui rentroient dans le bercail, je leur fis des reproches fur ce qu'ils n'avoient pas voulu me parler tandis que j'étois au milieu d'eux; & ils me répondirent conftamment, qu'ils craignoient qu'il n'y eût quelque détachement en embuscade pour les faifir; mais qu'ayant vu le figne de notre rédemption arboré fur leur terre a

ils s'étoient enfin perfuadés que le temps d'obtenir grace pour leur ame & pour leur corps étoit arrivé. Que ce foit-là le véritable motif qui les a fait agir, ou que quelqu'un de leurs camarades des différentes habitations que j'avois préparées pour les Pâques, les ait aflurés de la fincérité du pardon que je leur promettois, c'est ce que je n'ai jamais pu découvrir. Mais, quoi qu'il en foit, il en vint peu-à-peu jufqu'à cinquante; & comme M. notre Gouverneur, qui tenoit un détachement tout prêt pour aller dans le bois, fi je ne réuffiffois pas, me preffoit de me rendre à Cayenne, je partis avec ces cinquante fugitifs.

Il feroit impoffible, mon Révérend Pere, de vous expliquer avec quelles démonftrations de joie l'on me reçut, fuivi de tout ce monde, chacun d'eux portant fur fa tête & fur fon dos fon petit bagage. Les rues étoient bordées de peuples pour nous voir paffer. Les maîtres fe felicitoient les uns les autres d'avoir recouvré leurs efclaves; & les Noirs eux-mêmes qui fervent dans le bourg, fe faifoient une fête de revoir, l'un fon pere, l'autre fa l'autre fa mere, celui-ci fon fils ou fa fille; & comme plufieurs

de ceux que je menois n'avoient pas vu la ville depuis très-long temps, & qu'ils y remarquerent bien du changement, notre marche étoit très-lente afin de leur donner le plaifir de fatisfaire leur curiofité : ce qui laifsoit en même temps la liberté à leurs camarades de les embraffer, en faisant retentir l'air de mille cris d'allégreffe & de bénédiction. Ce qu'il y avoit pourtant de plus frappant, c'étoit une troupe de jeunes enfans des deux fexes qui étoient nés dans les bois, & qui n'ayant jamais vu de perfonnes blanches de maifon à la Françoise, ne pouvoient fe laffer de les confidérer, en marquant, à leur façon, leur admiration. Je conduifis d'abord mon petit troupeau à l'Eglife, où il y avoit déja une grande affemblée à caufe de la fête de faint François Xavier; mais elle fut bientôt pleine par la foule qui nous fuivoit. Je commençai par faire faire à ces pauvres miférables une espece d'amende honorable.

ni

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1o. A Dieu dont ils avoient abandonné le fervice depuis fi long-temps; 2o. à leurs maîtres & aux colons, qui plufieurs d'entre eux avoient porté beaucoup de préjudice; 3°, à leurs com

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