idées ne soient originairement spirituelles et innées. En admettre l'existence, ce n'est pas dire que les sens ne peuvent les exciter, c'est seulement dire qu'on les a indépendamment des sens. L'âme, spirituelle de sa nature, a ainsi que les anges, des opérations purement spirituelles, des idées pures, que Dieu im-. prime dans tous les êtres pensans, et qu'il tire de son propre sein; puis elles se lient avec les sens, par une suite naturelle de l'union des deux substances, mais elles n'en sont pas moins innées. L'âme les avoit avant que d'en juger par les sens : elle les conserve même lorsqu'elle est séparée des sens par la mort. Elle a donc, indépendamment du corps, des sentimens dans le fond de son être, et ils ne se développent, après la mort, avec tant de vivacité et d'évidence, que parce qu'ils y étoient déjà, quoiqu'appésantis et obscurcis par la matière. Ceci demande un peu plus de développe ment. Les idées de toutes choses existent en Dieu; elles y existent essentiellement de toute éternité, comme dans leur source. Les esprits créés, formés sur le modèle de l'esprit divin participent de sa nature. Ils doivent, sous ce rapport, avoir aussi des idées naturelles des choscs, parce qu'un esprit est toujours esprit, qu'il soit créé ou incréé, uni à un corps ou séparé de tout corps. Adam, créé à l'image de Dieu, sut parler en sortant des mains de son Auteur. Il eut donc au même instant la connoissance des mots, et par conséquent celle des choses que ces mots signifient; car il faut avoir les idées des choses avant d'en pouvoir discourir. Cette connoissance ne pouvoit lui venir de l'impression des objets extérieurs, attendu qu'on ne peut en acquérir de cette manière que par l'expérience, qu'il ne possédoit point encore. D'où la tenoit-il donc, si ce n'est de son origine et de sa nature? Toutes les âmes humaines, étant de la même nature que celle d'Adam, sont créées avec les mêmes idées naturelles, qui sont les principes de toutes les connoissances auxquelles on parvient à mesure que ces idées se développent. La seule différence qu'on peut y trouver, c'est qu'Adam, créé dans l'état d'un homme parfait, avec l'exercice actuel de ses facultés, posséda dès ce premier instant des idées claires des choses, telles qu'elles conviennent à l'âge mur; au lieu que ses descendans, créés dans un état d'enfance, n'en ont que le germe; mais ce germe n'en existe pas moins réellement en eux dès leur naissance , pour s'y développer à mesure que leurs facul tés prennent de l'exercice. On ne peut donc pas dire qu'à ce premier instant l'âme est une table rase dépourvue de toute idée. Le grand argument de Locke est, qu'il ne peut y avoir d'idée sans perception, et que, comme il n'y a aucune perception dans les enfans, il ne sauroit y avoir aucune idée en eux. Cet argument se réduit en dernière analyse, à prétendre que tout ce qui est imprimé dans l'esprit doit en être actuellement apperçu. Mais combien n'y a-t-il pas de choses. dans l'esprit de tous les hommes qu'ils n'apperçoivent pas actuellement, c'est-à-dire, auxquelles ils ne pensent pas toujours? Dirat-on que l'esprit d'un homme plongé dans un profond sommeil est dépourvu de toute impression, parce qu'il n'en apperçoit aucune, tant qu'il persévère dans cet état? Dira-t-on qu'il n'y en a plus dans l'esprit de celui à qui une maladie grave ou la décrépitude ont fait perdre toutes ses idées, et que son âme est redevenue une table rase, parce qu'il n'apperçoit plus rien, non plus qu'un enfant? Mais n'est-il pas certain que cet homme recouvrera toutes ses idées, lorsqu'il sera dépouillé de ce corps mortel? Concluons de-là, que son âme, quoiqu'en quelque sorte moralement anéantie par l'âge ou la maladie, n'étoit pas plus privée de ses idées, après en avoir perdu la perception, que celle d'un homme endormi n'est privée des siennes par le sommeil. Peut-être dira-t-on qu'il y a de la différence entre un enfant qui n'a jamais eu la perception de ses idées, et un homme qui, ayant joui de cette perception, s'en trouve privé actuellement par quelqu'accident. Mais si l'on convient une fois qu'il peut y avoir des idées dans l'esprit sans aucune perception, pourquoi ne pourroient-elles pas y être avant qu'elles soient apperçues, aussi bien qu'après que cette perception a cessé? Est-ce donc les enfans qui meurent au berceau, et qu'on suppose n'avoir point apporté d'idées avec eux dans ce monde, ou qui n'y ont point assez demeuré pour en acquérir, s'en iront dans l'autre monde sans être pourvus d'aucune idée? Où faudra-t-il supposer que ces esprits enfantins, séparés de leurs corps, y apprendront à se former des idées? comme s'il étoit plus difficile de concevoir des esprits pourvus d'idées, dans un état d'enfance, que de concevoir des idées innées. que Le philosophe anglois en appelle à l'expérience pour savoir comment les idées se forment en nous, sans le secours des idées innées. L'expérience se réduit à prouver que nos connoissances augmentent graduellement; que l'impression des objets extérieurs nous aide à connoître la nature et les idées des choses. Mais l'expérience ne peut déterminer si, à l'occasion de ces insinuations du dehors, l'esprit trouve ces idées en lui-même, ou s'il les forme comme quelque chose de nouveau; car de quelque manière que cela arrive, soit que l'esprit forme alors ses idées, ou qu'il les ait déjà en lui-même, ses opérations, dans l'un et l'autre cas, doivent tellement se ressembler, que l'expérience ne sauroit jamais les distinguer, quoique les indices les plus favorables soient en faveur des idées innées. On ne poussera pas plus loin cette discussion, qui appartient à la plus haute métaphysique. Il nous suffit, pour remplir l'objet de cette histoire, d'avoir exposé l'analyse des principales raisons qui combattent le système de Locke. Nous devons maintenant nous occuper des conséquences qui en résultent; parce que le développement qu'il leur a donné, et que ses disciples ont encore beaucoup plus étendu, fait qu'elles nous paroissent porter une atteinte funeste aux principes fondamentaux de la morale naturelle. C'est même, sous le rapport de ces conséquences, que |