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du rincipe de causalité. Là où nous voyons un phénomène se produire, nous sommes ainsi faits que nous affirmons une cause. Ce n'est pas tout: là où nous voyons un phénomène se produire, nous sommes ainsi faits que nous affirmons une cause qui dépasse le phénomène, puisqu'elle le produit.

Dans le principe de causalité agit implicitement le principe de contradiction. Or, pour ne point parler de l'univers des corps, pour ne rien dire même du corps de l'homme, lequel dénote pourtant une si prodigieuse industrie, qu'est-ce que l'âme humaine? Cet être s'est-il donné l'être ? Évidemment non. Il faut donc qu'il y ait un être de qui l'àame tienne son être, et qui le lui conserve après le lui avoir donné. D'autre part, qui ne voit qu'il doit y avoir dans la cause dont l'âme est, si l'on peut s'exprimer ainsi, l'effet substantifié, au moins autant que dans l'effet? Mais l'âme a l'idée de l'infini; elle le conçoit en particulier sous les aspects variés du vrai, du beau, du bien; plus généralement encore elle le conçoit sous la notion de perfection, et en même temps qu'elle le conçoit elle y aspire. C'est là sa nature. Par conséquent, d'où viendrait à l'âme cette infinité de pensée et de sentiment, si cette infinité ne se trouvait dans

la cause même dont elle a reçu l'être? Cette cause est donc infinie; cette cause est Dieu.

Et qu'on n'objecte pas que je procède par voie de raisonnement, après avoir avancé que l'existence de Dieu se montre beaucoup plutôt qu'elle ne se démontre. Raisonner, c'est tirer une vérité d'une autre vérité. Quelle serait la vérité d'où je pourrais induire ou déduire l'existence de Dieu, c'est-à-dire l'infini? Manifestement, l'infini ne saurait s'induire ou se déduire que de l'infini. Dès lors, quelle illusion logique et quel jeu puéril d'abstraction! Pour obtenir ce que je cherche, il faudrait déjà le posséder.

Qu'on veuille bien y prendre garde. Le principe de causalité que j'invoque, le principe de contradiction dont je me sers, ne sont pas nécessairement des instruments d'induction ou de déduction; ce sont les principes régulateurs de toute connaissance.

Ainsi on m'accordera sans doute que ce n'est point par voie de raisonnement que nous connaissons l'existence des corps. Et cependant, sans le principe de causalité, sans le principe de contradiction, cette connaissance serait impossible.

Il en est de même de l'existence de Dieu. Le principe de causalité, le principe de contradiction servent à manifester cette existence. Mais c'est d'une

manière immédiate, intuitive, qu'apparaît dans l'âme, avec les notions de l'infini et du parfait, la conception de l'être de Dieu. De la psychologie à la théodicée, le passage est aussi simple, aussi direct, qu'il est nécessaire. « Vous vous montrez partout, Seigneur, écrivait Fénelon, et partout les hommes distraits négligent de vous apercevoir... Ils vous trouveraient, ô douce lumière, ô éternelle beauté, toujours ancienne et toujours nouvelle, ô fontaine de chastes délices, ô vie pure et bienheureuse de tous ceux qui vivent véritablement, s'ils vous cherchaient au-dedans d'eux-mêmes... Ils s'endorment dans votre sein tendre et paternel; et, pleins de songes trompeurs qui les agitent pendant leur sommeil, ils ne sentent pas la main puissante qui les porte. Si vous étiez un corps stérile, impuissant et inanimé, tel qu'une fleur qui se flétrit, une rivière qui coule, une maison qui va tomber en ruines, un tableau qui n'est qu'un amas de couleurs pour frapper l'imagination, ou un métal inutile qui n'a qu'un peu d'éclat, ils vous apercevraient, et vous attribueraient follement la puissance de leur donner quelque plaisir, quoique, en effet, aucun plaisir ne puisse venir des choses inanimées, qui ne l'ont pas, et que vous en soyez l'unique source... O misère !... l'homme n'a des yeux que pour voir

des ombres, et la vérité lui paraît un fantôme; ce qui n'est rien est tout pour lui; ce qui est tout ne lui semble rien. Que vois-je dans toute la nature? Dieu, Dieu partout, et encore Dieu seul (1). » En un mot, démontrer Dieu, ce n'est autre chose qu'éclaircir l'idée de Dieu.

La démonstration de l'existence de Dieu n'est d'ailleurs que le préliminaire de la théodicée, ou science humaine de Dieu.

Effectivement, qu'importerait à l'homme de savoir d'une manière indubitable que Dieu est, s'il ne savait aussi quel il est? La connaissance de Dieu n'est pas un pur objet de haute spéculation; toute pratique en dépend, et notre destinée s'y trouve engagée. Ou il faut renoncer à déterminer aucun rapport entre l'homme et Dieu, ou il faut admettre que l'esprit humain est capable de pénétrer en quelque manière la nature de Dieu. A la notion de Dieu doit s'ajouter la notion des attributs de Dieu.

Assurément, l'intelligence humaine, qui est finie, est impuissante à comprendre, dans sa plénitude, l'être de Dieu, qui est l'infini. Car comment entendrions-nous le tout de Dieu, nous qui n'enten

(4) De l'Existence de Dieu, première partie, chap. III.

dons le tout de rien? L'être de Dieu dépasse infiniment les conceptions de notre esprit fini, et la richesse de ses attributs reste inépuisable à l'analyse la plus attentive. « Dieu est tellement tout être, qu'il a tout l'être de chacune de ses créatures, mais en retranchant la borne qui la restreint. Otez toute borne, toute différence qui resserre l'être dans les espèces, vous demeurez dans l'universalité de l'être, et, par conséquent, dans la perfection infinie de l'être en lui-même (1).

Mais si Dieu est incompréhensible, s'ensuit-il qu'il soit inintelligible? Plusieurs ne craignent pas de l'affirmer: les uns sous prétexte d'exalter Dieu, les autres préoccupés d'infliger à l'esprit humain des humiliations qu'ils jugent salutaires.

Écoutons leur langage:

« Nous n'avons aucune notion adéquate de la Divinité, écrivait Voltaire; nous nous traînons seulement de soupçons en soupçons, de vraisemblances en probabilités. Nous arrivons à un très-petit nombre de certitudes. Mais cet artisan suprême est-il infini? est-il partout? est-il en un lieů? Nous n'avons ni degré, ni point d'appui pour monter à de telles connaissances. Nous sentons que nous

(1) De l'Existence de Dieu, seconde partie, chap. v.

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