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par deux signes modifiés é et è. L'auteur adopte pour le son ou le signe proposé par Ramus et par Volney: w. Lech, articulation forte du j, est figuré par cette même lettre sans boucle et sans point supérieur, j, le avec boucle conservant sa valeur ancienne de j.

La distinction entre les deux signes, pour chet / pour j est bien légère, surtout dans l'écriture: l'auteur aurait dû, ce me semble, conserver au moins le point supérieur à ce dernier. M. Raoux repousse pour gn le signe n tildé (n) adopté par Buffier, Volney, Marle, Féline et Henricy. Il propose ce signe 17, qui rappelle également la lettre n, et rentre dans la règle de symétrie qu'il préconise, c'est-à-dire l'emploi de boucles pour représenter les sons doux (1). Il repousse également le a proposé par le P. Buffier pour I ou ll mouillé, et, en vertu du principe ci-dessus, adopte le là boucle, réservant le I sans boucle pour le l ordinaire.

Ce système des boucles me paraît ingénieux en théorie, mais sujet à inconvénients dans la pratique. L'alphabet réformé ne doit pas seulement être appliqué dans l'impression; il doit aussi servir à l'écriture cursive, et les boucles n'y constituent pas une notation suffisamment distincte.

L'auteur a reculé devant l'introduction de nouveaux signes pour é, è, et pour ses voyelles nasales an, èn, in, on, en. Il donne au signe é la valeur phonétique de eu, au groupe in la valeur de im, et au groupe en l'ancienne valeur de eun.

Ces changements d'emploi de signes anciens paraissent une transaction malheureuse: il fallait, dans un système qui aspire à une complète rénovation graphique, éviter toute capitulation, toute équivoque avec l'ancienne écriture passée en habitude et que les novateurs voudraient proscrire. Et quant aux voyelles nasales, qui se rencontrent de 8 à 10 fois en 30 mots, il n'aurait pas dû leur conserver le signe binaire qui a encouru toutes ses sévérités. En les remplaçant par un signe simple, il eût obtenu une économie notable dans l'écriture et l'impression, et eût restitué à ces voyelles, encore méconnues de nos grammairiens, le caractère de voyelle simple. Domergue et Féline n'avaient pas ainsi sacrifié sur l'autel des anciens dieux. Il est vrai que la suppression

(1) M. Raoux aurait pu dire que cette règle est empruntée de Ramus, qui dès 1562 (voir p. 192), l'avait mise en pratique, et que son n à jambage a été inventé par Meigret.

de ces n parasites, leur remplacement par un trait diacritique, donnait à leurs pages une apparence hétéroclite devant laquelle M. Raoux aura sans doute reculé. Cependant, durant trois siècles, l'œil des lecteurs du latin et du français était accoutumé à voir ainsi écrits ou imprimés: bõte, těps, chagemët, coditio, amat, veniût, les mots que nous figurons par: bonté, temps, changement, condition, amant, veniunt. Reprendre cette forme archaïque de la voyelle nasale eût mieux valu, ce me semble, que toute autre combinaison, et ce système ancien, si simple et si rationnel, mérite d'être pris en grande considération.

<< En résumé, dit l'auteur, l'alphabet phonographique conserve: 20 lettres de l'alphabet actuel; - 2 lettres modifiées par des accents (é, è); - 2 signes modificateurs de sons (accent circonflexe et n nasal).

« Il élimine: 6 lettres proprement dites (c, h, k, x, w, y); — 6 signes binaires (eu, ou, au, ch, gn, ll); - 2 signes modificateurs (cédille et tréma).

« Il dédouble les formes du jet du I pour représenter leurs deux sons similaires; il rectifie trois signes binaires (èn, in, en).

<< Enfin, il ajoute deux signes nouveaux pour Il mouillé et le

son ou. »

Voici le nouvel alphabet complet, avec l'indication des valeurs nouvelles :

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Dans le nouveau système, les 26 caractères de l'alphabet ne changent jamais de valeur phonétique, quels que soient les signes qui les précèdent ou les suivent dans la composition des mots. Exemple :

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anneau

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L'auteur pose (p. 194) ce principe, sur lequel je crois devoir appeler toute l'attention des novateurs en orthographie: Maintien de tous les signes utiles pour l'intelligence des mots et des phrases et pour l'euphonie de la langue parlée; élimination de tous les autres signes.

« On écrira donc, continue M. Raoux, toutes les lettres grammaticales qui servent à éclaircir le sens des mots et des phrases, à lever des doutes, à faire disparaître des équivoques ou à prévenir des hiatus et des consonnances désagréables. Toutefois, on distinguera les lettres actives ou phonétiques des lettres passives ou muettes, en les séparant par un tiret indiquant que ces dernières n'ont pas droit aux honneurs de la prononciation, et ne sont que des signes additionnels dont la destinée est de disparaître lorsque la langue parlée aura comblé ses fâcheuses lacunes et réduit le nombre exorbitant de ses homophones.

<< Ainsi l'on écrira le r de l'infinitif et le z de l'impératif (en les séparant par un tiret) toutes les fois que le sens de la phrase ne permettra pas de les distinguer l'un de l'autre, ainsi que du participe passé, c'est-à-dire lorsqu'on hésitera entre les trois homophones é, er, ez des verbes de la première conjugaison: aimé, aime-r, aime-z, travaillé, travaille-r, travaille-z. On écrira encore: montéZ à cheval; il boiT et mange bien; je voudrais qu'il allât avec vous, etc., afin d'éviter des hiatus et des consonnances peu agréables pour l'oreille, mais on ne séparera pas ces lettres euphoniques par un tiret, comme les signes affectés de mutisme. >>>

Cette citation suffit pour faire écrouler tout le système de M. Raoux, et il prononce lui-même, sans s'en apercevoir, la condamnation de la phonographie comme écriture usuelle de la langue française, comme méthode même d'enseignement dans les classes élémentaires.

En effet, l'auteur reconnaît, avec une bonne foi parfaite, la nécessité de fixer le sens des mots ainsi que des phrases, de lever tous les doutes, de faire disparaître les équivoques, de prévenir les hiatus et les consonnances désagréables. N'est-ce pas là, je le demande, une tâche impossible à quiconque n'a pas préalablement acquis la connaissance la plus approfondie, la plus minutieuse de la langue française? Nous voici ramenés, avant d'aborder l'étude de la nouvelle écriture, à cette grammaire si complexe, avec ses milliers d'exceptions et de sous-exceptions, objet de tant de malédictions de la part des novateurs. Bien plus, pour accorder ces temps de verbes, ces participes, ces substantifs, ces adjectifs; pour leur conserver sur le papier ces marques euphoniques exigées par notre oreille; pour figurer en phonographie les nombreux homonymes avec l'orthographe étymologique qui les distingue (1), l'étude de la grammaire française ne suffit plus: la connaissance complète du latin et de la basse latinité est indispensable, ainsi qu'une teinture du grec. Quel trouble pour les adeptes de cette nouvelle tachygraphie, auxquels on prescrit de figurer uniquement le son, s'il leur faut combiner les deux systèmes, l'ancien et le nouveau, et s'arrêter avant d'écrire une phrase pour tenir compte des difficultés de l'étymologie et des exigences de la syntaxe!

Que deviennent alors les 50 millions d'artisans, de pauvres enfants, de manouvriers des villes et des campagnes qui, en France, en Belgique, en Suisse, dans tous les pays de langue française, devaient être émancipés de l'ignorance en une ou deux saisons d'école? Les voilà ramenés aux difficultés de la grammaire et aux études grecques et latines dont on prétendait les dispenser.

Quant à ceux qui ont reçu cette instruction si pénible à conquérir, peut-on espérer qu'ils adoptent jamais une nouvelle manière d'écrire, même simplifiée, si elle ne les dispense pas de se rappeler continuellement l'ancienne, pour la solution des cas litigieux? L'étranger instruit, mais peu exercé à la prononciation, le savant, le législateur, ne croiront jamais parvenir à être bien compris dans cette écriture figurative des sons. Chacun des mots anciens, par sa configuration devenue familière, par les radicaux si souvent transparents sous l'enveloppe graphique, réveille pour nous le souvenir de ses congénères et de sa signification (2).

Sans doute, s'il s'agissait uniquement de former un peuple

(1) Voir ce que j'ai dit plus haut, p. 96, de l'orthographe des homonymes, saint, sein, etc., et la discussion de M. Vanier sur le même sujet, p. 326. J'ajouterai que dans tout système phonographique on devra conserver l'ancienne orthographe pour les noms propres, les noms de lieux, etc. (2) Voir aussi p. 96 et 374.

ignorant, sans passé littéraire, à une rapide connaissance de la lecture et de l'écriture française, la méthode phonétique aurait de grands avantages; mais pour une nation riche d'une littérature qui date de huit siècles, ses vocables, ses syllabes même, font, pour ainsi dire, partie intégrante de son histoire intellectuelle; les transformer de fond en comble, c'est rompre la chaîne non interrompue des traditions où s'est formé son génie.

Dans les chapitres suivants, M. Raoux applique son système de phonographie à plusieurs langues de l'Europe. En ajoutant à son alphabet les signes de l'e double aigu (e), l'i mouillé (i), et les trois nasales én, wn, un, il possède, d'après l'auteur, la gamme complète des sons du bel idiome des troubadours. Quant à la transcription de l'italien, je n'en vois pas trop l'utilité pour nous, surtout quand on renonce à figurer l'accent tonique.

J'en dirai autant de l'espagnol et du latin, à l'écriture phonographique desquels l'auteur consacre quelques pages. Sa transcription de l'allemand, pour être fidèle, nécessiterait l'addition de nouveaux signes pour le het le ch fortement aspirés. Mais c'est pour nous transcrire fidèlement la prononciation de l'anglais que la nouvelle méthode serait inappréciable. Elle remplacerait avec une supériorité incontestable le système de voyelles chiffrées usité dans les meilleurs dictionnaires anglais-français.

Il serait donc désirable qu'en tête des dictionnaires anglais, arabes, turcs, aussi bien que de ceux des patois des langues de l'Europe, on représentat la prononciation dans un système phonographique perfectionné et convenu entre les linguistes. Une page, placée en tête de chacun de ces lexiques, suffirait pour tracer toutes les règles de lecture de cet alphabet véritablement phonétique. Avec l'aide du temps, les personnes studieuses en prendraient l'habitude, et le pas, difficile à franchir, pour la constitution d'un alphabet européen et d'une écriture européenne serait plus tôt accompli. Je m'unis donc, pour cette application importante, aux vues de l'auteur, si bien développées dans ses dernières pages, que je dois renoncer à analyser. Cet art nouveau, auquel il s'est voué, n'a pas encore dit son dernier mot; il est en instance devant les corps savants, les universités et les académies. Loin de faire reculer la philologie comparée et la science rationnelle du langage, il ne peut que leur procurer de nouveaux moyens d'analyse.

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