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du pouvoir fut transportée vers l'est, les îles ne furent plus une possession assurée; il était difficile de les défendre de si loin, on trouvait plus simple de les laisser prendre, - quitte à les reprendre ensuite. Pendant cette période, l'histoire des Hébrides est écrite avec du sang, illustrée par le fer et le feu. On en lit les feuillets déchirés sur des ruines. On y retrouve souvent les souvenirs des Norwégiens et des Danois, qui écumaient toutes les mers et pillaient toutes les côtes.

A la fin du neuvième siècle un Roi norwégien, Harfagard, -le nom est peu rassurant, - fit une expédition contre les Hébrides; il ne se contenta pas de les ravager, brûler et rançonner en passant, comme tout honnête pirate pouvait faire; il voulut les conserver, et les déclara provinces maritimes de son royaume; en cette qualité il les gratifia d'un vice-roi.

Or, il arriva que le vice-roi aima mieux être Roi pour son compte. Il y avait un moyen très simple et fort en usage dans ce temps-là: la révolte. Le vice-roi se révolta donc, et se déclara indépendant. Les îles se trouvèrent alors entre deux feux, - Harfagard s'indignaient de n'avoir pas su les garder, et les Rois d'Ecosse ne se pardonnait pas de les avoir laissé prendre. -Quant au vice-roi, quoique La Fontaine ait dit :

<< Notre ennemi, c'est notre maître! >>>

Je le passe sous silence; une fois couronné il ne fit plus parler de lui; il n'a pas d'histoire. Cependant les Rois d'Ecosse rachetèrent leurs îles; il paraît qu'ils ne pouvaient pas s'en passer. On vit ainsi la métropole payer tribut à la colonie.

Après une servitude de quatre cents ans, les Hébrides reconquirent encore une fois leur liberté, avec les Mac-Donald, qui prirent le titre de Lords-des-Iles, - un beau titre, qui sonne bien, qu'ils portaient fièrement, et qui commande encore aujourd'hui la sympathie et le respect des Highlands et des Iles. - Cette fois, les Hébrides gardèrent leur indépendance aussi longtemps que l'Ecosse elle-même : les Lords ne tombèrent qu'avec les Rois. Il n'y a pas plus de souverains aujourd'hui dans le palais d'Holyrood que dans le château d'Armadale. Le lion britannique (qui n'est qu'un léopard) tient maintenant toute la race des Gaëls sous sa griffe un peu lourde. Il n'y a plus ni révolte contre le gouvernement central, ni guerre d'une île à l'autre. Or, il s'est trouvé que le souffle orageux de la liberté leur était salutaire. Ces luttes éternelles étaient une des conditions de leur prospérité; la paix leur amena la misère; dès que leur vie fut protégée contre

1 La pierre du pouvoir, vénérable bloc de granit qui servait de trône aux Rois scotts, est maintenant à Westminster dans la chapelle d'Henri VII.

l'ennemi, on ne songea plus à l'assurer contre la faim. Cependant, la métropole lointaine, contente du calme qu'elle a fait, - n'est-ce pas un Gaël qui a dit: Ils font une solitude et ils appellent cela la paix? la métropole se livre à d'autres soins, et les Hébrides s'allanguissent, dans une torpeur de plus en plus profonde. - Depuis qu'elles se sentent à l'abri du fer et du feu, elles ont cessé de relever leurs ruines. - Toute cette terre est aujourd'hui couverte de débris.

Dès qu'on sut, dans le port d'Oban, que je voulais visiter les îles, toutes les barques se mirent à ma disposition: l'hospitalité des pêcheurs vaut celle des montagnards. On m'inscrivit sur les rôles d'un équipage en qualité de volontaire, et nous profitâmes d'une heure de calme entre deux bourrasques pour sortir du port; - je voulais être sûr de partir. - Vous prendrez terre quand vous voudrez, m'avait dit le pilote. C'est qu'en effet, ces îles semées par groupes sont si nombreuses et tellement pressées qu'on est toujours près de la côte. La mer semble parfois disparaître, et l'archipel n'est plus qu'un vaste continent, tra-versé par des canaux irréguliers qui circulent entre les découpures de la terre ferme,- une Venise glaciale avec des rochers en guise de palais. - Les rivages opposés projettent au-dessus des îlots leurs môles et leurs promontoires, comme de longs bras qui veulent se rejoindre. l'Océan a par- Cette captivité de l'Océan n'est pas sans dangers fois des fureurs d'esclave révolté. Nulle part les tempêtes ne sont plus redoutables que dans les détroits. Ce n'est pas la mer qu'il faut craindre alors, c'est la terre. La mer vous berce sur son vaste sein; la terre vous brise contre des récifs et des écueils.

Ces réflexions prenaient sur moi plus d'empire, à mesure que j'examinais plus attentivement les pronostics menaçants. Je sen-tais donc un assez vif désir de tourner la proue au rivage. On m'exauça; et, avant de pénétrer dans les profondeurs du loch1 Lynnhe, si chères au hareng, le patron me déposa sur un des nombreux caps de Lismore, et reprit immédiatement la mer.

Telle est, en effet, l'étrange façon de voyager dans ces îles, où l'oc-casion vous conduit et d'où l'occasion vous ramène; on ne sait ni le moment du départ, ni le moment du retour. Pas de gîte préparé, pas d'auberge qui vous attende. On ne sait jamais chez qui l'on va; à peine sait-on où l'on va. Le hasard d'abord et le hasard ensuite. Du reste, l'inattendu a bien son charme, et je ne reconnais à personne le droit de mépriser l'inconnu... On sait d'ailleurs que si l'on rencontre quelqu'un, ce quelqu'un là sera bienveillant et hospitalier. - Seulement

1 Dans les Hébrides, comme dans les Highlands, les lacs reçoivent le nom de loch. Le ch prend alors une aspiration gutturale qui rappelle les tours de force de la prononciation alle

mande.

TOME XIII.

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on n'est pas sûr de rencontrer. De tous côtés, cependant, la solitude déroule ses horizons lointains qui n'ont d'autres limites que la mer et les montagnes. Il est vrai que vous n'avez pas le souci de choisir votre chemin, - le plus souvent il n'y en a pas; l'instinct seul vous mène où vous voulez aller... si toutefois vous voulez aller quelque part.

Ces procédés, fort poétiques, sans doute, ne laissent pourtant pas que d'être parfois embarrassants. Après vous avoir mis à terre, avec quelques instructions, écoutées d'une oreille distraite, l'embarcation reprend sa route et file ses nœuds rapides; vous la suivez d'un œil inquiet; il semble qu'avec elle c'est le monde qui s'en va; n'était une certaine pudeur, vous voudriez bien la rappeler. Enfin vous prenez votre parti en pensant qu'elle ne reviendrait pas, et vous commencez votre voyage de découvertes. - C'est ce que je fis.

Quand on veut tout voir, ce qui est toujours un tort et souvent une faute, c'est par Lismore qu'il faut commencer le tour des Hébrides. Lismore jouit ici de l'estime générale; sa fertilité, qui étonne sous ce ciel avare, lui a mérité le nom de Jardin des Hébrides.

Je me trouvai tout d'abord fort empêché à l'entrée de ce jardin, bien qu'aucun dragon n'en gardât les pommes d'or. - Je regrettai l'absence du dragon; il vaut mieux rencontrer un dragon que de ne rencontrer personne. - Après une heure de marche sans incidents, je me heurtai contre un fort en pierres sèches juxta-posées, qui s'élevaient par larges assises cyclopéennes, qu'aucun ciment ne reliait entre elles. Il présentait du reste tous les caractères des constructions danoises. Un antiquaire de Londres m'avait spécialement recommandé les forts danois. - J'honorai celui-là de toute mon attention. -Comme la plupart des forts danois, il se compose de trois enceintes concentriques. Il fallait donc emporter trois remparts avant d'être maître de la place. - Les parties encore intactes du mur ne montrent aucune ouverture destinée à laisser passer les armes offensives. On dédaignait de s'occuper des assiégeants; on ne les harcelait pas à tout propos; on laissait faire d'abord. La défense de ce temps là consistait à se renfermer; c'est encore aujourd'hui le procédé des tortues et des colimaçons. - Quand la garnison était serrée d'un peu trop près, elle jetait les remparts à la tête de l'ennemi. Les vainqueurs étaient ensevelis sous leur triomphe; on renversait la citadelle pour la sauver. Le moyen était héroïque, mais ne réussissait pas toujours; souvent on s'égorgeait pour les ruines. Du côté de l'ouest une porte reste encore intacte, étroite et basse, avec une pierre unique pour linteau, et deux rochers pour jambages.

Un fort danois, si mal bâti qu'il soit, ne peut suffire à la curiosité d'une journée; je désirai autre chose. Je pénétrai donc plus avant

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dans l'île. - Je ne trouvais aucun indice pour me guider, pas même l'apparence d'une route; je continuai à marcher devant moi, sûr d'arriver bientôt à l'autre rivage. - Je rencontrai un berger en contemplation; sa pose me frappa: - il regardait pousser l'herbe que ses moutons mangeaient. Je sais tout le respect que l'on doit à un homme qui médite, et j'hésitai quelque peu à troubler celui-ci. -Enfin il leva la tête et m'aperçut. Il se mit sur ses jambes d'un seul bond, avec une élasticité de ressort qui se détend; il s'appuya sur sa houlette et me regarda fixement. Il était osseux, maigre et long. Ses cheveux pendaient en désordre à la manière des bergers bretons. Il y avait dans ses yeux, d'un bleu clair, je ne sais quel éclat fascinateur; ils effrayaient, et ils attiraient tout à la fois. Je dis que je voulais voir l'ancienne cathédrale (kirk en Gaélic), et je demandai ma route. Il continua à me regarder sans mot dire. Je commençai à trouver que les bergers gaëls étaient assez mal appris, et je me préparai à répéter ma question: je n'avais pas ouvert la bouche qu'il étendit le bras vers l'ouest et se rassit gravement, sans avoir prononcé une parole.

C'est le seul Gaël silencieux que j'aie jamais rencontré : ils sont, en général, grands parleurs, amis des questions et fort habiles à extraire vos réponses. - Il paraît que celui-ci se souciait peu des miennes.

Je me dirigeai vers l'ouest en suivant une clôture de pierres sèches qui partageait deux héritages; je me retournai plusieurs fois; mon berger était toujours immobile comme un Dieu Terme. - A quoi peut penser un berger? voilà le problème qui m'occupa jusqu'aux ruines de la cathédrale.

La cathédrale fut bâtie sur une éminence au milieu de l'île; -il ne reste plus, aujourd'hui, que le chœur, dont les arches gothiques abritent le pupitre d'un ministre presbytérien. J'entrai dans le cimetière, où l'on m'avait promis une mise en scène de paysage magnifique (a scenery, disent les Anglais). Il n'y a pas, en effet, dans les Trois-Royaumes, une perspective plus grandiose; l'île, sans montagnes, semble un vaisseau démâté au milieu des flots. - Cependant, de l'autre côté du détroit, la terre d'Ecosse découpe sa silhouette dentelée de promontoires, et le Calédonian-Canal, montant les marches liquides de l'escalier de Neptune', s'enfonce entre les glens infinis, pour unir la mer d'Irlande et l'Océan germanique. Si l'on se retourne, on aperçoit le groupe des Hébrides, rêveuses Cyclades du nord, penchées sur leurs montagnes en mille attitudes étranges. La mer qui les entoure donne elle-même au paysage des aspects changeants; tantôt elle repose, mollement assoupie, sur le sable doré des rivages; tantôt elle se réveille dans les tempêtes. - Le ciel a des ca

Neptune's staircase.

prices: pareils le cercle de l'horizon avance ou recule comme par un jeu d'optique; le rideau se ferme ou s'entr'ouvre a volonté sur l'espace. L'atmosphère sereine et lumineuse éclaire les moindres contours des objets qu'un instant après elle vous dérobe. - Des nuages blancs rasent les flots, pareils à des oiseaux à l'immense envergure;-d'autres rampent tortueusement sur le flanc des collines dont ils laissent la tête et les pieds dans la pleine lumière; parfois, au contraire, c'est la cime qui disparaît sous des voiles de vapeur.-Seule au milieu de ces changements à vue, la vieille église de Lismore reste la même, immobile, morne et grise, portant le deuil de ses splendeurs éteintes.

Je note avec soin tout ce qui reste de cet antique monument; - j'ai dit que le chœur seul demeurait intact. Il n'y a plus trace des nefs latérales, c'est à douter qu'elles aient jamais existé. On voit encore deux portails, qui appartiennent à deux époques différentes de l'art: celui qui regarde l'Océan est à ogive; l'autre, du côté de l'Écosse, en plein cintre; on trouve derrière ce portail les vestiges très reconnaissables d'une toute petite chapelle. Les fonts baptismaux, ménagés dans l'épaisseur du mur, s'ouvrent par une petite ogive; le fond présente une niche étroite à triple ogive, dans laquelle, sans doute, on plaçait la vasque sainte.- Cette cathédrale est fort petite: elle n'a que cinquantesix pieds de long sur vingt-huit de large. Ses caractères architectoniques la font remonter au milieu du quatorzième siècle. Le siége épiscopal des Hébrides fut longtemps placé dans l'île d'lona, mais au treizième siècle l'évêque de Dunkelt obtint du Pape l'érection d'un second diocèse des îles en faveur de son chapelain «qui savait l'irlandais. » Lismore fut le chef-lieu du diocèse. La crosse des évêques de Lismore est maintenant dans la famille de Livingstone: elle reste aux mains de l'héritier des armes.

La cathédrale avait été placée sous l'invocation de saint Molochus, qui ne la défendit pas. Jadis l'évêque de Lismore réunissait de fervents catholiques sous sa crosse pastorale; ils résistèrent plus longtemps que les autres aux prédications de la réforme et aux séductions du libre arbitre: ils se trouvaient heureux sans cela! enfin, le schisme éclata; le temple s'éleva contre l'église. Le laird et les siens avaient embrassé la foi nouvelle... Le laird trouvait que les paysans étaient bien lents à se laisser convaincre. Un dimanche il s'embusque sur le chemin de l'église, son bâton à la main; la troupe dévote arrive, cheminant lentement par les sentiers accoutumés.

- Où allez-vous? et il lève le bâton.

- A la messe !

Non, allez au prêche.

Ils n'étaient pas prédestinés à la couronne du martyre: ils allèrent au prêche. Le pauvre curé eut plus de courage que ses paroissiens,

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