quand l'austérité ou le choix sévère n'a pas réussi au vrai bien, et qu'il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour. LXXXIV. Le mal est aisé, il y en a une infinité; le bien, presque unique. Mais un certain genre de mal est aussi difficile à trouver que ce qu'on appelle bien; et souvent on fait passer pour bien à cette marque ce mal particulier. Il faut même une grandeur extraordinaire d'âme pour y arriver, aussi bien qu'au bien. LXXXV. La nature de l'homme n'est pas d'aller toujours, elle a ses allées et venues. Lafièvre a ses frissons et ses ardeurs, et le froid montre aussi bien la grandeur de l'ardeur de la fièvre que le chaud même. Les inventions des hommes de siècle en siècle vont de même. La bonté et la malice du monde en général en est de même : Plerumque gratæ principibus vices. LXXXVI. Est fait prêtre qui veut l'être, comme sous Jéroboam. C'est une chose horrible qu'on nous propose la discipline de l'Église d'aujourd'hui pour tellement bonne, qu'on fait un crime de la vouloir changer. Autrefois elle était bonne infailliblement, et on trouve qu'on a pu la changer sans péché; et maintenant, telle qu'elle est, on ne la pourra souhaiter changée! Il a bien été permis de changer la coutume de ne faire des prêtres qu'avec tant de circonspection, qu'il n'y en avait presque point qui en fussent dignes; et il ne sera pas permis de se plaindre de la coutume, qui en fait tant d'indignes ! LXXXVII. Les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouillé, ce sont des enfants; mais le moyen que ce qui est si faible, étant enfant, soit bien fort, étant plus âgé! On ne fait que changer de fantaisie. LXXXVIII. Incompréhensible que Dieu soit, et incompréhensible qu'il ne soit pas; que l'âme soit avec le corps, que nous n'ayons pas d'âme; que le monde soit créé, qu'il ne le soit pas, etc.; que le péché originel soit, et qu'il ne soit pas. LXXXIX. Les athées doivent dire des choses parfaitement claires; or il n'est point parfaitement clair que l'âme soit matérielle. XC. Incrédules, les plus crédules. Ils croient les miracles de Vespasien, pour ne pas croire ceux de Moïse. XCI. Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes. [Il faut dire en gros: Cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai. Mais de dire quels, et composer la machine, cela est ridicule; car cela est inutile, et incertain, et pénible. Et quand cela serait vrai, nous n'estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine.] XCII. Athéisme marque 1 de force d'esprit, mais jusqu'à un certain degré seulement. XCIII. Les défauts de Montaigne sont grands. Mots lascifs. Cela ne vaut rien, malgré mademoiselle de Gournay. Crédule (gens sans yeux). Ignorant (quadrature du cercle, monde plus grand). Ses sentiments sur l'homicide volontaire, sur la mort. Il inspire une nonchalance du salut « sans crainte et sans repentir. >> Son livre n'étant pas fait pour porter à la piété, il n'y était pas obligé : mais on est toujours obligé de n'en point détourner. On peut excuser ses sentiments un peu libres et voluptueux en quelques rencontres de la vie; mais on ne peut excuser ses sentiments tout païens sur la mort; car il faut renoncer à toute piété, si on ne veut au moins mourir chrétiennement : or il ne pense qu'à mourir lâchement et mollement par tout son livre *. XCIV. La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les 1 Toutes les éditions faites avant le Rapport de M. Cousin portent: manque de force d'esprit. Ici, comme en bien d'autres passages, les éditeurs font dire à Pascal précisément le contraire de ce qu'il a écrit. 2 Pascal n'a surpassé Montaigne ni en naïveté ni en imagination. Il l'a surpassé en profondeur, en finesse, en sublimité, en véhémence. Il a porté à sa perfection l'éloquence d'art que Montaigne ignorait entièrement, et n'a point été égalé dans cette vigueur de génie par laquelle on rapproche les objets et on résume un discours; mais la chaleur et la vivacité de son esprit pouvaient lui donner des erreurs, dont le génie ferme et modéré de Montaigne n'était pas aussi susceptible. (Vauvenargues.) animaux ; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux. XCV. Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, disent: Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un « chez moi » à la bouche. Ils feraient mieux de dire : Notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc., vu que d'ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du leur. XCVI. L'éloquence est un art de dire les choses de telle façon, 1o que ceux à qui l'on parle puissent les entendre sans peine, et avec plaisir; 2o qu'ils s'y sentent intéressés, en sorte que l'amour-propre les porte plus volontiers à y faire réflexion. Elle consiste donc dans une correspondance qu'on tâche d'établir entre l'esprit et le cœur de ceux à qui l'on parle d'un côté, et de l'autre les pensées et les expressions dont on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien étudié le cœur de l'homme pour en savoir tous les ressorts, et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu'on veut y assortir. Il faut se mettre à la place de ceux qui doivent nous entendre, et faire essai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son discours, pour voir si l'un est fait pour l'autre, et si l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comme forcé de se rendre. Il faut se renfermer, le plus qu'il est possible, dans le simple naturel; ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand. Ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, il faut qu'elle soit propre au sujet, qu'il n'y ait rien de trop ni rien de manque. L'éloquence est une peinture de la pensée; et ainsi, ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau, au lieu d'un portrait. XCVII. Il faut avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple1. XCVIII. La force est la reine du monde, et non pas l'opinion; mais l'opinion est celle qui use de la force. On ne consulte que l'oreille, parce qu'on manque de cœur. Il faut, en tout dialogue et discours, qu'on puisse dire à ceux qui s'en offensent: De quoi vous plaignezvous? CHAPITRE XXV. PENSÉES PUBLIÉES DEPUIS 1843. I. Quand notre passion nous porte à faire quelque chose, nous oublions notre devoir. Comme on aime un livre, on le lit, lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais, pour s'en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait; et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire, et on se sou vient de son devoir par ce moyen. 4 Cela veut dire tout simplement qu'il faut avoir la raison profonde et distincte de ce dont le peuple a le bon sens confus, et en parlant comme le peuple, savoir mieux que lui pourquoi on le dit. (Sainte-Reuve.) |