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qui a prononcé cette sentence: « La piété chré>> tienne anéantit le moi humain, et la civilité » chrétienne le cache et le supprime 1; » qui a fait si rude guerre au pauvre Montaigne pour avoir trop parlé de lui, est un des auteurs les plus personnels dans son style. Nous renvoyons aux passages que nous avons précédemment rapportés Le fils aîné de la reine et L'homme aux quatre laquais, etc. ; et encore celui-ci : « Cela » est admirable: on ne veut pas que j'honore un >> homme vêtu de brocatelle et suivi de sept ou >> huit laquais ! Eh quoi! il me fera donner les » étrivières, si je ne le salue. Cet habit, c'est une >> force 1. >>

C'est dans l'édition de M. Faugère et non dans celle de Port-Royal qu'il faut aller chercher cette personnalité dramatique, car les amis de Pascal semblent avoir pris à tâche de l'effacer et de remplacer par des formules vagues, générales et communes ses tours les plus incisifs et les plus énergiques. Il ne pouvait rien écrire sans s'animer et se mettre en scène. A chaque instant, il sort de la méditation solitaire, cherche un interlocuteur, un adversaire, s'adresse à lui, établit le dialogue, impose son autorité, éclate tout-à

1 T. I, p. 197, 369.

2 P. 221.

On doit remarquer cependant qu'il ne parle pas de ce qui concerne sa personne, comme Montaigne.

coup en traits d'ironie, de verve, d'éloquence 1. Cependant il est probable qu'il eût fait disparaître la contradiction qu'on remarque entre ses invectives contre le moi et son égotisme, et que ses amis l'ont traité comme il se serait traité luimême. Ne parlant qu'à lui seul dans ses petits papiers, il n'avait pas besoin d'observer les règles de la civilité chrétienne. Mais en s'adressant au public, il eût supprimé ou caché son moi pour se mettre à l'abri de ses propres anathèmes. C'eût été regrettable, et, sous ce rapport encore, nous l'aimons et le connaissons mieux dans ses notes imparfaites. Inaccessible aux mesquines recherches de la vanité, mais profondément convaincu, passionné pour le vrai, naturellement il prenait le ton dominateur et personnel, car la passion, quelle qu'elle soit, est toujours égoïste et dramatique. Il lui aurait donc fallu se faire violence pour se renfermer dans une discussion générale et impersonnelle, et il aurait ainsi perdu ou affaibli un des caractères les plus saisissants de son éloquence.

Mais si individuelle que soit la forme du style de Pascal, elle est aussi générale et classique. C'est le style éminemment français sur lequel chaque homme de génie met sans doute son ca

Voir M. Cousin, Des Pensées de Pascal, p. 99 et seq.

:

chet, mais où tous se reconnaissent, parce qu'il exprime toutes les qualités de notre caractère national avant tout la raison et le bon sens, et ensuite la vivacité et la grâce de l'esprit, l'imagination sobre et réglée, le pathétique qui naît du fond des choses et non de formules calculées, du cœur et non de la tête. Car, remarquons-le bien, si notre langue, entre les mains de ses vrais fondateurs, a perdu quelque chose de ses avantages primitifs, de son abondante facilité, de sa grâce naïve, de sa liberté énergique, de ses couleurs pittoresques, elle n'a pas cessé, tout en demeurant surtout la langue de l'intelligence et du bon sens, de se prêter à tous les mouvements de l'imagination et des passions.

Cette grande langue, c'est Pascal qui l'a créée dans sa plénitude et sa perfection, car, avant lui, il n'y avait eu que des œuvres incomplètes ou mêlées de mauvais goût. Quel génie suppose une telle création! On peut le conjecturer par ce seul fait littéraire, que, même avec une langue formée et parfaite, il y a si a si peu de grands écrivains. Pascal est à la prose ce que Corneille est à la poésie; plus grand que Corneille, nous l'osons dire, parce qu'il est plus pur, plus naturel, plus complet, et que la langue poétique est peut-être plus facile à créer que la langue ordinaire. Du moins, les bons écrivains, au commencement de toutes les

littératures, sont presque toujours des poètes.

:

Notre siècle gagnerait à revenir à Pascal, chez qui l'art et la nature se sont donné rendez-vous pour opérer leur parfaite union. Non pas qu'il soit imitable, pas plus que tous les écrivains de génie il faudrait les copier ou penser comme eux; car leur style et leur pensée, c'est tout un. Mais lorsqu'on semble ne plus reconnaître d'autre dieu que l'art, d'autre inspiration que le calcul, d'autre théorie littéraire que la gymnastique des paroles, est-il rien de plus salutaire que l'étude de ce grand naturel, si étranger à toute affectation, à toutes les recherches d'une vaine rhétorique?

FIN.

TABLE DES MATIÈRES

DU SECOND VOLUME.

Pag.

CHAP. III. Pascal philosophe et apologiste.

ARTICLE PREMIER. Histoire des Pensées.

-

I. Méthode de composition de Pascal.
sion des Pensées. Petits papiers.

-

--

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tion de Port-Royal. Difficultés de la publi-
cation. Ce qu'on pourrait invoquer à la
décharge des premiers éditeurs. Quels
furent-ils?.

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II. But que se proposèrent les premiers éditeurs.-

-

L'ont-ils atteint? Conseil de révision.

-

-

Deux partis en présence. - Lequel a triom-
phé?

-

Que voulait Mme Perier?- Préface.

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1

ib.

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renferme d'abord dans le parti. Pourquoi?

-Célébrité postérieure.

III. Qu'entendre par Pensées?--Idée systématique

de M. Cousin.

Vices de l'édition de Port-

-

Plan

Royal. Écrits distincts confondus.
violé. Altérations de toute espèce. — Chan-
gements et suppressions qu'on ne saurait lui
reprocher. A-t-elle voilé le scepticisme de

-

Pascal et défiguré le caractère de sa foi?. . : 54

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