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gociants et à l'avantage des fraudeurs, on permit que des vaisseaux de registre fussent expédiés dans l'intervalle par des marchands de Séville ou de Cadix, avec des licences achetées du conseil des Indes. Le nombre s'en accrut tellement qu'en 1748 on renonça aux galions, et que le commerce ne se fit plus qu'avec des bâtiments particuliers. Il est vrai que ce négoce se trouvait entravé par l'ancienne habitude de tout réglementer.

Les communications étant rares, l'Espagne ignorait la condition de ses colonies, et le gouvernement y languissait. Charles III voulut y remédier en établissant des bateaux-postes qui partaient tous les mois de la Corogne pour la Havane, et tous les deux mois pour la Plata; chacun de ces bateaux pouvait prendre la moitié de son chargement en marchandises espagnoles, et revenir avec une quantité égale de denrées américaines.

La concession s'étendit plus tard, et tous les sujets espagnols furent admis à trafiquer avec les îles du Vent, Cuba, Hispaniola, Porto-Rico, la Marguerite et la Trinité, puis avec la Louisiane et avec les provinces de Yucatan et de Campêche. Ce n'était pas un petit mérite de s'attaquer à un préjugé qui datait de deux siècles; les résultats furent immédiats, car en dix ans le commerce doubla dans quelques contrées, et tripla dans d'autres.

Les avantages de la liberté une fois connus, on abolit les peines extrêmement rigoureuses portées contre toute correspondance entre les provinces situées dans les mers du Sud; loi tyrannique autant que nuisible, qui empêchait d'équilibrer l'abondance et la disette, en obligeant à faire venir tout d'Espagne.

L'administration intérieure des colonies fut améliorée sous le ministère de don Joseph Calves. La population et les affaires s'étant accrues, le nombre des juges dont se composaient les cours d'audience ne suffisait plus, et les traitements n'étant plus en rapport avec les charges, il fallut une réforme générale. La division des provinces fut remaniée; on forma alors les viceroyautés du Mexique, du Pérou, de la Nouvelle-Grenade, et une quatrième comprenant Rio de la Plata, Buenos-Ayres, le Paraguay, le Tucuman, le Potose, Sainte-Croix de la Sierra, Chureas, avec les deux villes de Mendoza et de Saint-Jean; il y eut en outre les huit capitaineries indépendantes du NouveauMexique, de Guatimala, du Chili, de Caracas, de Porto-Ricco, de Saint-Domingue, de Cuba et de la Havane, de la Louisiane

et de la Floride.

1764.

1774.

Mais le vice était à la base, et l'union de ces contrées avec la métropole causait toujours une immense entrave. Il fallait éluder par la ruse les lourds impôts et les restrictions sévères; le commerce clandestin absorbait plus de la moitié des revenus royaux, le reste passait aux dépenses d'une administration compliquée, tellement qu'il n'entrait peut-être pas quarante millions par an dans le trésor espagnol.

L'Angleterre, maîtresse de l'Océan, supportait avec peine la concurrence de l'Espagne; et dans tout le cours de ce siècle elle travailla à détruire la marine de cette puissance et à diminuer son empire transatlantique, pour la réduire à la servitude dans laquelle elle tenait le Portugal. Déjà elle la tenait sous sa main au moyen de Gibraltar; elle menaçait ses possessions d'Amérique, et pendant la guerre qu'elle fit à la ligue des princes de Bourbon elle enleva à l'Espagne les îles Philippines et la Floride (1763), lui donnant comme compensation des possessions naguère françaises, telles la Louisiane. Mais l'Espagne tardant à l'occuper, la Louisiane goûta le plaisir de l'indépendance, et le procureur général de la colonie, La Fernière, tenta d'y établir une république. Les habitants refusèrent de suspendre leur commerce avec la France et avec ses îles, ce qui obligea de recourir à une répression sanglante.

Les Espagnols eurent aussi à combattre avec l'Angleterre pour les Malouines, îles voisines de la pointe méridionale de l'Amérique méridionale, qui finirent par leur rester. Puis ils eurent affaire avec les Portugais pour la colonie de Sacramento, sur la rive septentrionale du Rio de la Plata, qui était un asile de contrebandiers; et ils l'obtinrent en échange d'une vaste étendue de pays sur la rivière des Amazones. Le district du Paraguay resté à l'Espagne fut érigé en vice-royauté de Buenos-Ayres, et son importance commerciale s'accrut considérablement.

L'Espagne, comme on l'a déjà vu, prit part avec la France à la guerre de l'indépendance des États-Unis. Elle obtint par la paix de Versailles Minorque et les deux Florides, en cédant aux Anglais les îles de la Providence et de Bahama, avec la faculté de couper des bois d'acajou et de teinture sur la côte de Mosquitos, ainsi que d'autres avantages. Elle avait perdu dans cette guerre vingt et un vaisseaux de ligne et beaucoup de moindres bâtiments sa dette s'était accrue de 250 millions, et ses colonies avaient appris par un exemple qu'une révolution couronnée de succès est légitime. Elles s'en souvinrent.

:

Quand Humboldt les visita, les possessions de l'Espagne dans le Nouveau Monde occupaient soixante-dix-neuf degrés de latitude; leur longueur égalait celle de l'Afrique; leur surface était deux fois aussi vaste que celle des États-Unis, et ils surpassaient de beaucoup en étendue l'empire britannique dans l'Inde. Quelques années après, il n'y restait plus à l'Espagne un pouce de

terre.

Le dernier ministre de Charles III fut le comte de FloridaBianca, homme médiocre, mais qui savait distinguer le mérite et ne pas en prendre ombrage. Bien que dévoué au clergé, il réprima ses prétentions dans les affaires séculières, et agit avec un noble désintéressement. Il résulte du compte qu'il présenta au roi que, pendant les onze années de son ministère, les mendiants furent supprimés dans Madrid et dans d'autres villes, et l'on employa à cet usage les aumônes royales, avec une partie des revenus du clergé et des avances des prélats; on mit obstacle au vagabondage des Zingaris; des canaux d'irrigation et de navigation furent ouverts; des édifices furent construits, soit en appelant des étrangers, soit en envoyant des nationaux s'instruire au dehors; un jardin botanique fut créé ; cent quatrevingt-quinze réserves de chasse furent supprimées; trois cent vingt-deux ponts furent construits, sans compter un grand nombre d'autres qui furent réparés; enfin les premières diligences firent le trajet entre Madrid, Barcelone et Cadix.

Afin de remettre en valeur les bons royaux inconsidérément émis, une banque fut instituée avec un fonds de soixante-quinze millions, et la confiance qu'elle inspira fut telle que les actions montèrent de deux mille réaux à trois mille quarante, prospérité passagère, mais profitable. Un nouveau tarif abolit certains impôts onéreux ou nuisibles; et le produit des douanes augmenta de soixante millions de réaux à cent trente millions. Le commerce avec les Indes, ayant été rendu à peu près libre, rapporta 55,456,949 réaux en 1788, lorsqu'en 1778 il n'en produisait pas plus de 6,761,291. Une compagnie pour le commerce des Philippines fut constituée avec un capital de quatrevingts millions de piastres. Les bâtiments qui devaient charger pour l'Europe les marchandises de l'Inde, ou porter à Manille l'argent des Indes espagnoles, partaient de Cadix, et, après avoir doublé le cap Horn, faisaient escale à la côte du Pérou, où ils prenaient les piastres nécessaires pour les achats; ils débarquaient ensuite aux Philippines, pour revenir directement à

Banque de Saint Charles.

1789,

1788

Influence française.

Cadix par le cap de Bonne-Espérance. Aussi l'Espagne, qui sous Philippe V comptait à peine sept millions et demi d'habitants, en avait-elle onze à la fin du siècle, et le produit de son industrie et de son agriculture se trouvait triplé.

Les voyages de Behring et de Cook firent connaître aux Anglais l'importance du pays de Noutka, chaîne de montagnes ou de forêts impraticables, à l'exception des bordures verdoyantes le long de la mer, toutes en golfes et en ports, avec une température tellement douce à une pareille latitude que les plantes d'Europe s'y acclimataient. Les Espagnols s'étaient établis, dès 1774, dans le port Saint-Laurent pour la pêche de la baleine et d'autres cétacés, pêche qui y est extrêmement abondante. Le commerce des peaux et des fourrures y attira aussi les navires anglais, russes, français, et le port de Noutka fut bientôt considéré comme le principal marché de la côte nord-ouest de l'Amérique. Les Espagnols en conçurent de la jalousie, envoyèrent des gens pour y construire une redoute, et ils arrêtèrent un bâtiment anglais qui arrivait avec ordre d'agir de la même manière. Mais l'Angleterre obtint par ses armes une réparation complète des prétendues injures qui lui avaient été faites; elle eut la liberté de naviguer et de pêcher tant dans la mer Pacifique que sur ces côtes, et bientôt elle planta son drapeau sur les ruines du fort espagnol.

Charles IV monta sur le trône à l'âge de quarante ans, au moment où commençait la révolution française, dans laquelle il devait se trouver entraîné.

Philippe V né prétendit importer en Espagne ni les usages ni la littérature de la France; cependant il y institua, à l'exemple de son pays natal, une Académie royale (1714), qui abolit le gongorisme et donna un excellent dictionnaire. Il fonda aussi l'Académie d'histoire (1735), qui s'appliqua à des recherches d'érudition nationale. Mais l'influence française se fit sentir en Espagne comme dans toute l'Europe; et lorsque certains auteurs se tenaient cramponnés à leurs classiques jusqu'à imiter leurs incorrections, d'autres introduisaient le sans-façon raffiné de leurs voisins. Le théâtre conserva mieux les formes nationales, bien que parfois il enfantât, en y mêlant les formes françaises, des monstruosités sans caractère.

François Brancas Cadaneo, Joseph de Canizares, Antoine de Zamora, Gérard Lobo étaient à la tête des conservateurs; et l'Origine de la langue espagnole, de Grégoire Magans y Siscar,

est écrite dans le sens de leurs doctrines. Les novateurs avaient pour chef Ignace de Luzan, qui composa une poétique (1737) en cinq cents pages in-folio, appuyée sur des auteurs et des exemples français. Il prétendait ramener la poésie à son but primitif, celui de servir à la morale, et faire renoncer aux hardiesses pour atteindre à l'élégance: aussi met-il bien au-dessous des modèles français la fécondité désordonnée de l'ancien théâtre espagnol. Vélasquez pense de même (Origine de la poésie esgnole, 1754) c'est un homme de goût, mais incapable de se reporter dans les temps passés et d'en deviner l'originalité. Au milieu de tant de discussions et de tant de règles, il ne surgit aucun poëte digne de mémoire dans une littérature qui avait commencé avec une énergie si luxuriante. Il ne parut guère d'original que quelque Auto sacramentale, genre qui fut ensuite prohibé par Charles III en 1765.

Cependant lorsque Garcias de la Huerta fit paraître sa Rachel (1778), pièce conçue à l'ancienne manière, elle fut accueillie avec un enthousiasme patriotique. Quoiqu'il suivit le goût national, il se laissait subjuguer par la manière française; et, dans quatorze volumes de compositions du Théâtre espagnol, publiés par lui (1785) en opposition aux gallicistes, il n'osa insérer que des comédies de cape et d'épée, et un seul Auto. Il ne nomme même pas Lope de Véga, quoiqu'il reproduise beaucoup de pièces de Caldéron, et qu'il se plaise dans ses préfaces à maltraiter les auteurs étrangers qui lui avaient été peu favorables, notamment Quadrio, Bettinelli, Tiraboschi, dont les jugements avaient été moins ménagés. Don Lopez de Sedano recueillit (Parnaso spagnolo, 1768), avec une égale timidité, les productions lyriques. Mais dans ce genre il y en eut peu dont le nom ait retenti au dehors. Nous citerons Iriarte, auteur de fables gracieuses; Jean Melendez Valdes, chantre d'amours et de pastorales, que ses chansons populaires mirent en crédit, et Moratin, qui écrivit des comédies élégantes et sensées.

La plus heureuse imitation de Don Quichotte est due au jésuite de Isla, qui, dans la Vie de frère Gerundio de Campazas (1), tourna en ridicule le style affecté et les mauvais prédicateurs. Gerundio avait appris, en fréquentant des capucins, que son

(1) Historia del famoso predicador fray Gerundio de Campazas, alias Zoles, escrita por el lic. d. Francisco Lobon de Salasar; 1758-1770, deux

Vol. in. 4°.

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