Les caractères de la puissance invisible exprimée par la forme se rapprochent en deux groupes exactement pareils. Ainsi, la grandeur de la puissance dans le beau lis, c'est la puissance vitale se déployant avec autant d'étendue que le ferait la puissance idéale du type. L'intensité de la puissance, c'est la puissance vitale agissant ou se déployant sur tous les points où elle est présente avec toute l'énergie de la puissance idéale du type. Enfin, la grâce invisible de la puissance, c'est la puissance agissant ou se déployant par des mouvements aussi aisés, aussi souples, aussi flexibles et multiples que le seraient les mouvements de la puissance idéale du type, si le type se réalisait. En sorte que la grandeur proprement dite de la puissance, l'intensité et la grâce de cette puissance se ramènent naturellement à l'idée générale et unique de grandeur. Passons maintenant aux cinq autres caractères de beauté de la puissance. L'unité de la puissance, c'est la puissance ordonnant son action totale en vue de la réalisation d'un type unique et toujours semblable à lui-même. La puissance du lis produit toujours des lis, jamais des œillets ni des pavots. La variété de la puissance, c'est la puissance ordonnant ses actions partielles et diverses, de façon à produire des parties diverses toujours semblables aux parties diverses d'un même type. Les actions partielles de la puissance vitale du lis produisent toujours une tige de lis, des feuilles de lis, des pétales de lis, et non des feuilles de lis sur une tige de rosier, ni des pétales de lis sur un calice de campanule. L'harmonie de la puissance ce sont d'une part, l'action totale de la puissance; de l'autre, les actions partielles de cette puissance se coordonnant entre elles de façon non à s'entraver, mais au contraire à s'aider mutuellement dans la production de la plante. La proportion de la puissance, c'est la puissance mesurant, c'est-à-dire ordonnant ses efforts de façon à atteindre le résultat, sans rester en deçà ni passer au delà. Enfin, la convenance dans la puissance, c'est l'action de la puissance se coordonnant avec les puissances voisines, de telle sorte que ces actions extérieures se composent avec l'action de la puissance comme les actions d'une même puissance, et rehaussent la beauté de la plante ou de l'objet quel qu'il soit. Ainsi, les trois premiers caractères de la puissance du lis, la grandeur, l'intensité et la grâce, se ramenant à la grandeur; les cinq autres se ramenant à l'ordre, nous pouvons dire qu'au total l'invisible beauté du lis a deux caractères: la grandeur et l'ordre. Je conviens tout de suite que ni les jardiniers, ni même les amateurs éclairés, lorsqu'ils admirent un beau lis, n'invoquent expressément ces deux idées de grandeur et d'ordre; encore moins comptent-ils sur leurs doigts les huit caractères compris sous ces deux caractères généraux, afin de s'assurer si aucun ne manque à l'appel. Mais donnez-leur à choisir entre plusieurs lis après un rapide examen, ils choisiront sans se tromper celui où ceux où seront présents les caractères en question, et rebuteront sans pitié celui ou ceux où manquera un seul de ces caractères. Comment ne pas reconnaître dans ce choix l'application pratique de nos principes et la confirmation de nos analyses? Nous pouvons donc terminer le présent chapitre par cette conclusion: Le beau lis est celui dont la forme visible, aussi grande et aussi ordonnée que la forme idéale de l'espèce, manifeste une puissance vitale agissant avec toute la grandeur et tout l'ordre propres à la puissance idéale de l'espèce. Telle est l'affirmation définitive de ma raison à l'égard de la beauté du lis; et l'on a vu, chemin faisant, quelle est, dans ce phénomène intellectuel, la part restreinte de l'expérience, et quelle la part beaucoup plus large de la raison. CHAPITRE III. Analyse des effets produits par le beau sur l'intelligence humaine. (Suite.) Autres exemples: Beauté d'un jeune enfant; beauté de son corps, beauté de son âme. Beauté de la vie de Socrate. physique de l'homme? mative. Y a-t-il un idéal de la forme Discussion de cette question. Conclusion affir Beauté d'une symphonie de Beethoven. Toutes les beautés précédemment analysées suscitent en mon esprit les mêmes idées et ont les • mêmes caractères essentiels. Quoique j'aie mis tout le soin possible à déterminer les effets produits par la beauté du lis sur mon intelligence, quoiqu'il soit déjà bien évident pour moi que toutes les belles fleurs de cette espèce susciteraient dans mon esprit les mêmes idées et me dicteraient les mêmes jugements, quoiqu'enfin il me paraisse improbable que de semblables analyses puissent aboutir à des résultats sensiblement différents, je craindrais néanmoins de me tromper en faisant un trop tôt, comme dit Platon dans le Philèbe, c'est-à-dire en généralisant trop vite, si je prononçais dès à présent que toutes les choses belles, sans aucune exception, agissent sur mon intelligence de la même manière qu'un beau lis. Afin donc de procéder avec toute la rigueur de la méthode, je vais me placer en présence de quelques autres objets beaux, d'une nature autre que celle des fleurs, et rechercher si mon intelligence en est, ou non, pareillement affectée. Un enfant, beau comme celui qui se tient debout aux pieds de la Belle Jardinière de Raphaël, et du même âge, dort étendu dans son berceau. Les formes de son corps ont toute l'ample grandeur qu'elles doivent avoir à ce moment de sa vie. Une exquise unité rattache ses membres à son corps et son corps à sa tête. Une variété non moins ravissante divise cette unité en parties symétriquement correspondantes, et toutes ramenées à l'unité par leur similitude et par leur position à la fois inverse et pareille des deux côtés d'une même ligne centrale. Par là, tous les membres de ce corps charmant sont en harmonie. La proportion y règne aussi, non la proportion virile, j'en serais choqué, mais les proportions molles et rebondies de l'enfance. Le plus frais coloris anime sa peau délicate et transparente. Dans la pose de sa tête sur son bras; dans sa poitrine alternativement soulevée et abaissée au gré de la respiration; dans les mouvements doux et ondoyants par lesquels il change de position; dans l'abandon de toutes ses attitudes éclate une grâce naïve qui attire le regard et l'enchaîne. Enfin, dans ce berceau, comme en un cadre fait pour la rehausser, son innocente beauté reluit tout entière. Sa beauté serait ou moindre, ou détruite, s'il y manquait un ou plusieurs de ces caractères. En puis-je · douter? Maigre, petit et chétif, serait-il aussi beau? Le serait-il autant si, par une cruelle méprise de la |