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possessions: on ne se préoccupe que d'arrondir les royaumes; on sacrifie les faibles restés sans défense pour éviter une lutte entre les forts; on n'évalue la prospérité d'un État que d'après la configuration et l'étendue de son territoire, le nombre des têtes et le produit des contributions. La statistique seule témoigne de la prospérité d'un État, et l'on fait étalage de ces chiffres adulateurs. On invente cette politique appelée de cabinet, toute d'intrigues, sans loyauté ni bonne foi, qui considère comme le plus habile celui qui sait tromper le mieux. En aucun temps. on n'avait entamé tant de négociations, ni sur des questions d'une si haute gravité; mais toujours on y eut en vue la convenance, et non la justice. Un système d'alliances et de contre alliances fut échafaudé pour soutenir l'équilibre artificiel établi par la paix de Westphalie et restauré imparfaitement à Utrecht, édifice tout conventionnel comme la poésie, comme la peinture et l'architecture, comme la manière de se vêtir à cette époque.

Le commerce devient un intérêt nouveau et d'une importance capitale; on dirait que les cabinets sont devenus des comptoirs on y fait des traités, des ligues, des guerres pour des tarifs, pour des exclusions de marchandises, pour la pêche, pour le droit de visite. Les guerres européennes commencent ou se propagent dans les colonies; mais aussi c'est d'elles que le monde verra surgir l'exemple nouveau d'une vaste démocratie.

Les dettes contractées amènent l'invention du papier-monnaie, qui accroît les ressources des gouvernements, et les aide dans des entreprises qui autrement seraient inexécutables.

L'argent devint le moteur universel: il fit vivre les armées et les gouvernements, qui ne laissaient à l'homme aucune dignité; par lui furent fomentées les factions dans les pays rivaux; le faste prit la place du mérite; les traitants et les agioteurs, cette engeance nouvelle, s'enrichirent à l'envi.

Cet esprit mercantile devient un contre-poids à l'intolérance religieuse, et conduit l'administration, aussi bien que la science, à d'utiles applications. L'importance des lettres se fait sentir, et de protégées elles deviennent protectrices. L'étude des langues, les voyages plus fréquents, le français, dont l'usage se répand, facilitent l'échange des idées et des opinions; les penseurs sont admis dans les cabinets, ou du moins on y tient compte de leur manière de voir. Selon eux, tout doit être soumis à l'expérience, et il en résulte que les écrivains deviennent un pouvoir, que l'administration et la politique s'élèvent à l'état de sciences en

répudiant le mystère et les vieux préjugés. Le savoir rapproche les classes; et en même temps que le roturier grandit à l'égal des anciens gentilshommes, ceux-ci cherchent à se faire pardonner leurs priviléges en rabattant de leurs prétentions et en se rendant d'un abord plus facile.

Dans le mouvement qui est un des caractères distinctifs de cette époque, on ne recule devant aucun doute; on hasarde les hypothèses et les utopies les plus hardies, parce que la réalité n'a enlevé encore aucune illusion. Mais tandis que, dans certains pays, le peuple engoué des idées nouvelles pousse aux révolutions, il reste ailleurs tellement attaché à ce qui est vieux qu'il fait des révolutions pour le conserver. Les princes, voyant qu'ils ne peuvent résister à l'impulsion, cherchent à la diriger, mais avec des intentions médiocres, qui ne satisfont pas les novateurs en même temps qu'elles ébranlent la foi des conservateurs.

Ainsi ce siècle reprenait l'œuvre commencée dès le seizième et qui, suspendue dans le cours du précédent, devait s'accomplir avec une violence terrible dans le suivant (1).

Les grandes puissances qui avaient imposé à l'Europe la paix d'Utrecht ne s'étaient pas mises en peine des intérêts et des sentiments du plus grand nombre; aussi ceux qu'elles avaient

(1) Les journaux acquirent de l'importance, surtout ceux de Hollande, en raison de la liberté qui y régnait. Les Français eurent les mémoires, les Allemands leurs recueils d'actes. Chaque royaume eut ses historiens particuliers, d'un mérite plus ou moins încontestable, et résumés pour la plupart par des écrivains postérieurs L'Histoire de mon temps et l'Histoire de la guerre de sept ans, par Frédéric II, ainsi que sa correspondance, offrent le commentaire le plus important, sinon le plus véridique de son règne. Il est aussi intéressant de consulter: Mémoires du duc de SAINT SIMON, des deux WALPOLE, etc. Mem. of the courts of Berlin, Dresden, Warsav and Vienna, par WRAXHALL; Londres, 1800, 2 vol. in-8°. - Politique de tous les cabinets. Tableau historique de l'Europe. Mém. ou souvenirs historiques, par SÉGUR. — Hist. des États de l'Europe de 1740 à 1748, par ADELUNG. · Cours d'hist. des États européens, par SCHOELL, tomes XXXVIII à XLVI. Le Recueil des traités, par SCHOELL et Kock. Corps diplomatique, par DUMONT. Hist. de la diplomatie francaise, par FLASSAN. - Chronologisches handbuch, 1740 à 1809, par WEDEKIND. Hist. of principal states of Europa from the peace of Utrecht, par JOHN RUSSEL.-Hist. des révolutions politiques et littéraires de l'Europe dans le dix-septième siècle, par SCHLOSSER. Hist. de l'Europe et des colonies européennes depuis la guerre de sept ans jusqu'à la révolution de juillet, par LANGLET.— Hist. universelle des hommes de lettres anglais. Gesch. der mehrwürdigsten Bündnisse und FriodenSchlüsse, etc., par Voss. — Biographie universelle, voir les articles écrits sur cette époque par ceux qui connureut les personnages historiques.

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sacrifiés se plaignaient-ils. La succession protestante, assurée en Angleterre, blessait la foi de tous les catholiques et la loyauté du légitimiste. La barrière de fortifications élevée entre la France et les Bays-Bas, entretenue aux frais de l'Autriche, était tout à la fois une charge gratuite pour cette puissance et un embarras pour toutes trois. Si la séparation perpétuelle des deux couronnes de France et d'Espagne était un acte de bonne politique, elle avait cependant contraint les peuples à changer l'ordre de succession. Le partage de la monarchie espagnole entre la France et l'Autriche ne profitait en rien aux neutres; en même temps les deux États intéressés n'étaient point satisfaits. Charles VI, chef de la maison d'Autriche, considérait comme lui ayant été ravies les couronnes qui paraient le front de Philippe V, et il en gardait rancune à la France ainsi qu'aux puissances maritimes. Dès lors l'objet principal de la guerre de succession n'était pas atteint; car les deux prétendants au trône d'Espagne ne se reconnaissaient pas l'un l'autre.

A la mort de Louis XIV, l'Espagne cessa de se montrer le satellite de la France. Philippe V, affranchi dans sa politique, ne philippe V. pouvait se résigner à voir sa monarchie démembrée et le commerce du pays sacrifié à l'intérêt des Anglais, aux mains desquels restait Gibraltar, comme un rocher où sa chaîne était rivée. Il éprouvait aussi quelques scrupules sur la validité du testament de Charles II; et en même temps qu'il se considérait comme un roi peu légitime en deçà des Pyrénées, il ne pouvait détourner sa pensée du trône de France, auquel il avait renoncé malgré lui. Aussi tenait-il ses regards fixés sur le berceau de son neveu, dont l'enfance était faible et maladive; mais il comprenait qu'il trouverait un obstacle à lui succéder dans le duc d'Orléans, régent du royaume et héritier présomptif de la couronne. Haïssant donc ce prince autant que le lui permettaient son caractère faible et sa dévotion, il s'ingéniait à lui arracher la régence; mais il sentait qu'il ne pouvait y réussir qu'avec l'appui de l'Angleterre. Or, la voyant occupée à soutenir l'œuvre qu'elle avait entreprise, il cherchait du moins à l'inquiéter en favorisant les prétentions du chevalier de SaintGeorge, comme on appelait le fils de Jacques II, le roi détrôné.

La paix européenne paraissait donc compromise par le petit-fils de celui qui l'avait si gravement troublée dans le siècle précédent. Philippe V ne manquait pas de courage; comme

1714.

Le cardinal
Albéroni.

on s'enquérait du poste que le roi occuperait dans une bataille, il répondit: Le premier, là comme ailleurs. Il déclara qui ne voulait pas vivre, comme les princes autrichiens ses prédécesseurs, renfermé dans son palais. Les Castillans, dont le courage s'était retrempé dans les luttes qui suivirent la mort de Charles II, auraient pu reprendre le rang qu'ils avaient perdus; mais ce n'étaient que des velléités momentanées; car du reste Philippe, dépourvu de ce courage intérieur nécessaire aux grandes résolutions, s'en rapportait à quelque favori du soin des affaires publiques et des siennes propres, pour retomber dans son apathique sommeil.

Il éprouva un profond chagrin de la perte de sa femme, l'aimable et intrépide Louise, qui avait su le maintenir en bonne intelligence avec la cour de France et avec son aïeul et à laquelle il fut refusé de jouir en paix d'un trône qu'elle avait contribué à conquérir. Il se livra alors tout entier à la princesse des Ursins, qui n'avait ni jeunesse ni beauté. Des sens ardents et une conscience timorée lui auraient fait épouser cette femme sur le retour si elle-même n'eût préféré lui donner une compagne dont l'âge fût plus en rapport avec le sien et dont le caractère ne pût pas toutefois mettre en péril la puissance qu'elle exerçait. Mais elle s'abusa grandement en fixant son choix sur Élisabeth Farnèse de Parme, dont l'ambition devait susciter autant de guerres et de négociations qu'on en avait vu naître, en d'autres temps, pour les franchises populaires ou pour les libertés religieuses.

Le choix de cette princesse avait été suggéré par Jules Albéroni, qui était originaire de ce petit État. Il avait passé par tous les rangs de la société. Savant, cuisinier, négociant, interprète, bouffon, employé dans des manéges difficiles, il fut en toute circonstance extrêmement habile à faire son chemin (1). Campistron, qui, s'étant trouvé volé dans un voyage en Italie, avait été accueilli par Albéroni, le proposa à Vendôme pour secrétaire au moment où le duc en cherchait un pour l'accom

(1) Dubos et Saint-Simon font sa caricature; de même que Poggiali ( Mémoires historiques de Plaisance), Ortiz (Histoire d'Espagne), Coxe (l'Espagne sous les Bourbons, 11, 27-28), Bignani ( Éloge du cardinal Albéroni (1833) font son panégyrique. Il est bien apprécié par John Russel, History of principal slates of Europe from the peace of Utrecht, II, 112. Mais les documents publiés par Albéroni lui-même, à Gênes d'abord, puis à Rome, sont surtout à consulter.

pagner dans son expédition en Italie. D'autres racontent que l'évêque de San-Domingo, ayant à conférer à Parme avec Vendôme et ne sachant pas le français, prit avec lui Albéroni; et que celui-ci, ayant trouvé le cynique général sur sa chaise percée, où il passait une bonne partie de la matinée, au lieu de se montrer blessé de cette inconvenance, ne trouva rien de mieux à faire que de l'imiter, ce qui charma le général français, et valut à l'Italien d'entrer à son service. En Espagne, il sut se faire bien venir de la princesse des Ursins: devenu comte et ambassadeur de la cour de Parme en Espagne, il s'assura la reconnaissance de cette cour, en déterminant le mariage de Philippe V avec Élisabeth (1), et sa faveur grandit auprès de la nouvelle reine. Le premier acte d'Élisabeth fut de renvoyer la princesse des Ursins, qui était venue au-devant d'elle. On la jeta dans un carrosse, avec la toilette d'apparat qu'elle portait; et il lui fallut ainsi traverser, à la fin de décembre, entourée de gardes, une partie de l'Espagne. Philippe ne montra, du reste, ni pitié ni mécontentement de cette résolution étrange (2).

« La fierté spartiate, l'opiniàtreté anglaise, la finesse italienne et la vivacité française formaient, dit Frédéric II, le caractère d'Élisabeth, femme singulière, qui marchait audacieusement à l'accomplissement de ses desseins. Rien ne la surprenait, rien ne pouvait l'arrêter. » Elle savait réprimer sa fureur de domination, et se résigner à la solitude avec un mari mélancolique sans perdre de sa gaieté. Elle le rendit père d'un fils; et, n'ayant pas l'espoir de voir monter cet enfant sur le trône, précédé qu'il était par trois frères du premier lit, elle voulut

"

(1) Albéroni rapporte lui-même, dans les notes qu'il a rédigées sur sa vie, qu'il disait à la princesse des Ursins qu'Élisabeth était une bonne Lombarde pétrie de beurre et de fromage; qu'elle en ferait tout ce qu'elle voudrait; qu'Élisabeth viendrait en Espagne aux conditions qu'il plairait à la princesse de lui prescrire. »

(2) << Dans les auberges d'Espagne (dit Saint-Simon, qui décrit d'une manière pittoresque la disgrâce et le voyage de madame des Ursins) il n'y a rien absolument pour les gens, et l'on vous indique seulement où se vend ce dont on a besoin pour les premières nécessités. La viande le plus souvent est vivante, le vin épais, mauvais, aigre; le pain se colle au mur; souvent l'eau ne vaut rien; il n'y a de lits que pour les muletiers; tellement qu'il faut tout emporter avec soi. » Albéroni écrit au majordome du duc de Parme: « Le coup que la reine vient de faire est digne de Ximénès, de Richelieu, de Mazarin. Croiriezvous qu'avec ce seul remède beaucoup de maux réputés incurables ont été guéris ? »

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