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définition de nom est arbitraire, au point qu'il est permis de donner le même nom à deux choses différentes, pourvu qu'on n'en confonde pas les conséquences et qu'on ne les étende pas de l'une à l'autre. Mais c'est ce qui est presque inévitable. La Logique de Port-Royal a done raison de vouloir qu'on prenne bien garde d'abuser de ce principe, quoique vrai en rigueur, que les définitions sont libres.

« On ne peut entreprendre de définir l'être... : car..., pour définir l'être, il faudrait dire, c'est, et ainsi employer le mot défini dans la définition.» Cela ne paraît pas bien rigoureux; car, en y regardant de près, on voit que le mot c'est, dans le discours, n'exprime qu'une conception de notre esprit, et n'a pas le mème sens que dans cette expression, l'être. Il équivaut à un signe algébrique tel que. Il pourrait y avoir deux mots différents pour ces deux idées différentes, et même il y en a deux en effet, car on peut dire : L'existence est. Ainsi, on n'emploie plus le mot défini dans la définition. Il est vrai pourtant qu'on ne peut définir l'existence, mais ce n'est pas, je crois, pour la raison que donne Pascal, c'est uniquement à cause de la simplicité irréductible de cette idée.

« On ne peut imaginer de mouvement sans quelque chose qui se meuve, et cette chose étant une, cette unité est l'origine de tous les nombres. »>

Cela est bien détourné, car la chose était aussi bien une dans l'état de repos que dans celui de mouvement. La seule mesure du mouvement, le calcul de l'espace parcouru, rapporté à un autre espace pris pour unité, suffit pour donner le nombre. D'ailleurs, comment sait-il que cette chose est une, et qu'entend-il par un? Ce mot bien analysé ne présente d'autre sens à l'esprit que celui de totalité ou d'ensemble.

« C'est une maladie naturelle à l'homme de croire qu'il possède la vérité directement..., au lieu qu'en effet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu'il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux.» Paradoxe et non-sens qu'on trouve aussi dans les Pensées, vi, 60, mais nous le surprenons ici à sa source, qui ne peut être que la considération de l'infini. En effet, on n'arrive à l'affirmative: Ceci est infini, qu'au moyen de la négative Il n'est pas vrai que ceci soit fini. Mais cela est tout simple, puisque l'idée d'infini est une négation, et il n'y a pas là grand mystère.

SECOND FRAGMENT.

Les réflexions par lesquelles s'ouvre ce fragment, sur ce que Pascal appelle l'art d'agréer, sont peut-être ce qui s'y trouve de plus original;

mais en les lisant il faut se défier de sa pensée de derrière (comme il dit dans les Pensées), qui est la condamnation de la nature humaine. Il est injuste quand il suppose que des vérités démontrées pour la raison sont rejetées par la passion. Cela est rare, si cela arrive jamais. Ce qui arrive le plus souvent, ce qui fait les surprises de la passion et celles de l'éloquence, c'est qu'en dehors des sciences pures, et dans l'ordre des choses qui font les grands intérêts de la vie, il n'y a guère de vérités rigoureusement démontrées, ni même de vérités absolument vraies, je veux dire qui le soient en toutes circonstances et sous toutes les faces. La passion peut donc les prendre sous le jour qui lui agrée. Pascal va le dire un peu plus loin : « Il n'y a presque point de vérités dont nous demeurions toujours d'accord. » Ce n'est pas qu'il n'y ait d'ordinaire, à un moment donné, une cause qui est la bonne cause, qu'il est juste d'embrasser, et qu'on est blåmable de combattre. Mais, quoiqu'elle soit la bonne cause, elle n'est pas cependant bonne en tout point. En un mot, lorsque la passion prend parti contre la raison, ce n'est pas sans avoir aussi des raisons pour elle. Ces raisons sont des vraisemblances, c'est-à-dire des vérités relatives. Et la rhétorique n'est que la dialectique des vraisemblances, comme Aristote l'a définie admirablement.

On ne saurait consentir non plus au dédain avec lequel Pascal traite la sensibilité, ne l'appelant que des noms de volupté et de caprice. L'homme ne doit pas plus mépriser en lui la sensibilité que la raison, et il n'a pas trop de toutes les deux pour se soutenir. Il y a des vérités que nous ne devons pas seulement croire, mais aimer, et des mensonges que nous ne devons pas seulement rejeter, mais hair. C'est donc le devoir de celui qui parle pour le vrai et contre le faux, de toucher en nous ces puissances d'amour ou de haine. Qu'on l'entende bien ce n'est pas une nécessité à laquelle il soit réduit, et dont il ait à se plaindre; c'est sa force, c'est son honneur, et ce doit être son ambition et sa joie. Mais comment l'auteur des Provinciales, comment l'homme qui fut peut-être le plus passionné des hommes éloquents, semble-t-il ne voir dans l'éloquence passionnée qu'un instrument de volupté? C'est qu'il méprise dans l'éloquence la nature elle-même, la concupiscence toujours présente, le misérable héritage d'Adam. Cela ne l'empêche pas de sentir ce qu'elle vaut humainement, et il nous dira tout à l'heure combien c'est un art difficile, et combien admirable.

Il est vrai que cet art n'a point de règles fermes (p. 300); mais sans prétendre fixer cette anatomie du cœur humain, il est possible de faire un certain nombre d'observations généralement vraies, observa

tions utiles d'abord en elles-mêmes, et aussi en ce qu'étant conduites méthodiquement elles nous apprennent à en faire d'autres. C'est ce qu'Aristote a exécuté dans sa Rhétorique. Il y a marqué précisément les principales de ces différences que Pascal reconnaît entre les caractères des divers âges et des diverses conditions.

Quand Pascal met en opposition (p. 299) les suggestions de l'esprit et celles du cœur, il contredit ce qu'il avait dit lui-même : « L'amour et la raison n'est qu'une même chose » (dans le Discours sur les passions de l'amour). C'était peut-être trop donner au sentiment et à la nature. Ici il leur refuse tout, parce qu'il parle suivant sa théologie. Il veut établir l'impuissance de la raison, soit pour persuader, soit pour gouverner, la vanité de la pure logique et de la pure sagesse. Et, par une étrange contradiction, en même temps qu'il trouve mauvais qu'on se détermine dans les choses humaines par le cœur, il trouve très-hon qu'on soit pris par le cœur en religion, et il voit là un mystère divin : « Et c'est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu'après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui la charme et qui l'entraîne. » C'est dans les mêmes termes qu'il explique, dans la XVIIIe Provinciale, l'action de la grâce sur le libre arbitre de l'homme. C'est bien déjà, en effet, le Pascal des Provinciales et des Pensées que nous entendons dans ces deux fragments, et qui, à la fin du premier, met son âme à nu, pour ainsi dire, dans cette phrase: « Sur quoi on peut apprendre à s'estimer à son juste prix, et former des réflexions qui valent mieux que tout le reste de la géométrie

même. »>

« Ce n'est pas barbara et baralipton qui forment le raisonnement. »> Non, sans doute; et Montaigne a bien fait de le dire, et Pascal de le répéter. L'esprit humain n'avait que trop souffert de l'éducation de l'École. Mais ce n'est pas à Aristote qu'il faut imputer la science morte du moyen âge; la sienne est vivante et originale, et il reste permis d'admirer chez lui l'analyse si curieuse, lors même qu'elle n'est pas utile pour la pratique, du mécanisme du raisonnement, et cette critique déliée qui débrouille habilement un à un tous les fils mêlés par les sophistes.

Pascal a raison de dire qu'Augustin n'a pas tenté comme Descartes de bâtir sur le Je pense, donc je suis une physique entière, c'est-à-dire, au sens que ce mot avait alors, une philosophie complète de la nature. (Voir les Principia philosophiæ.) Mais il se trompe, ainsi qu'on l'a dit justement', quand il fait entendre que le saint docteur n'a écrit ce

1. M. l'abbé Flottes, Etudes sur saint Augustin, 1861, p. 584.

mot qu'en passant et à l'aventure. Augustin prétend s'en servir pour prouver Dieu, et même la Trinité: Dieu, en reconnaissant dans nous un principe intelligent qu'il ne peut rapporter à la matière; la Trinité, en considérant le moi sous divers aspects, sous lesquels il lui paraît un et triple, idée que Bossuet a reprise en plusieurs endroits.

Au reste, le débat a moins d'intérêt pour ceux qui pensent (et j'avoue que je suis du nombre), que ce fameux principe n'a pas au fond toute la valeur qu'on lui attribue, car personne ne doute de la vie ni de la pensée; la question est seulement de savoir ce que c'est qui vit et qui pense, et c'est ce que le Cogito, ergo sum ne nous apprend pas, quoi qu'aient dit Augustin et Descartes.

« C'est de cette sorte que la logique a peut-être emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force, etc. »

M. Barthélemy Saint-Hilaire répond à cela dans la Préface de sa traduction de la Logique d'Aristote, (p. xxxvIII) : « Les mathématiques ont presque la forme pure, la forme idéale de la logique... Les mathématiques en tirent vanité, et c'est avec raison. Seulement il ne faut pas, comme il arrive quelquefois, qu'elles se méprennent sur elles-mêmes, et qu'elles essayent de détrôner la logique en se substituant à elle. Pascal a commis cette énorme erreur, que Malebranche aurait partagée volontiers. La logique, selon lui, a peut-être emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force. Puis, par une confusion non moins erronée, il ajoute : La méthode de ne point errer est recherchée de tout le monde; les logiciens font profession d'y conduire, les geomètres seuls y arrivent. Pascal, comme on le voit, confond l'art avec la science; et parce que les logiciens ne conduisent pas infailliblement au vrai, il immole la logique à ses chères mathématiques. C'est Leibnitz qui a pleine raison, quand il dit contrairement à Pascal : La logique des géomètres est une extension ou promotion particulière de la logique générale. Les mathématiciens empruntent donc la puissance de leur forme à la logique, loin de la lui donner. »

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La première chose que Dieu inspire à l'âme qu'il daigne toucher véritablement, est une connaissance et une vue tout extraordinaire par laquelle l'âme considère les choses et ellemême d'une façon toute nouvelle.

Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu'elle trouvait dans les choses qui faisaient ses délices. Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les choses qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s'abandonnait avec une pleine effusion de cœur. Mais elle trouve encore plus d'amertume dans les exercices de piété que dans les vanités du monde. D'une part, la présence des objets visibles' la touche plus que l'espérance des invisibles, et de l'autre la solidité des invisibles la touche plus que la vanité des visibles. Et ainsi la présence des uns et la solidité des autres disputent son affection, et la vanité des uns et l'absence des autres excitent son aversion; de sorte qu'il naît dans elle un désordre et une confusion.

Elle considère les choses périssables comme périssantes et

1. Fragment publié pour la première fois par Bossut. M. Faugère l'a donné d'après les manuscrits du P. Guerrier. Quoique le P. Guerrier dise qu'il ne sait de qui est cet écrit, et que l'auteur d'une note qui se trouve dans un autre manuscrit croie pouvoir l'attribuer à Jacqueline, je pense avec M. Faugère que Bossut ne s'est point trompé en le donnant comme de Pascal, et qu'on ne peut y méconnaitre sa manière. Mais je ne puis rapporter ce morceau à la date à laquelle on l'a rapporté. Il me semble que Pascal y exprime ce qui s'est passé dans son âme pendant ce temps critique de sa vie où s'accomplit laborieusement sa grande et dernière conversion, c'est-à-dire, pendant l'année 1654. 2. Je crois qu'il faut lire ainsi, et non pas, la vanité, leçon qui ne donne pas un sens satisfaisant.

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