Les anciens concevaient les glandes simplement comme des filtres au travers desquels passent des produits qui se trouvent tout formés dans le sang. Cette idée est encore admise par Descartes. Elle l'est aussi par la plupart des physiologistes du xvIIIe siècle, Haller en tête. Elle l'est même par Bichat, encore que celui-ci ait ajouté cette supposition, au moins inutile, que la filtration élective opérée par les glandes était la conséquence d'une sensibilité spéciale, grâce à laquelle ces organes pouvaient distinguer entre les diverses matières apportées par le sang et s'emparer de celles qu'ils avaient à éliminer. Cependant, quelques physiologistes du xvm siècle, tels que Sylvius, Willis, pensaient déjà que les matières caractéristiques de chaque sécrétion sont formées dans chacune des glandes, sous l'influence d'actions chimiques. Aucune de ces deux opinions, vous le voyez, n'était assise sur des faits expérimentaux; elles restaient à l'état d'hypothèses. Il faut arriver à l'année 1821 pour trouver la mémorable expérience de Dumas et Prevost sur le passage de l'urée dans le sang, après extirpation des reins. Ainsi il était prouvé que l'urée ne prend pas naissance dans ces organes glandulaires et que ceux-ci sont seulement chargés de la séparer du sang et de l'éliminer. Mais fallait-il de ce fait conclure qu'aucune glande ne produit aucune des substances contenues dans les sécrétions? On reconnut bientôt qu'il n'en est rien, grâce aux observations de J. Goodsir dont je vous ai parlé tout à l'heure et à celles de Moleschott qui, examinant le sang de grenouilles auxquelles il avait réussi à enlever le foie, ne put y découvrir trace des acides biliaires (1852). On était donc naturellement conduit à admettre qu'il existe deux sortes de glandes : celles qu excrètent simplement des substances qu'elles retirent du sang et formées dans d'autres organes et celles qui excrètent des produits qu'elles ont ellesmêmes formés. Une autre question, non moins importante, était posée: comment les glandes forment-elles les substances qu'elles sécrètent? par quel mécanisme? La théorie, purement mécanique, que les anciens avaient imaginée de la sécrétion, considérée comme une filtration, n'a jamais été appuyée sur des expériences. Celle d'Évrard Home, au commencement de ce siècle (1809), soutenue par Wilson Philip, et en 1824 par Dumas, d'après laquelle il faudrait voir dans l'électricité la cause déterminante des sécrétions (les glandes devant être le siège de courants galvaniques doués, ainsi qu'on venait de l'apprendre à cette époque, d'un pouvoir décomposant sur la plupart des substances contenues dans le sang), ne fut guère moins hypothétique. Les autres théories physiques, comme, par exemple, celle de Ludwig sur la sécrétion urinaire, fondée sur les lois de l'osmose et de la diffusion, plus positives en apparence, n'ont pas résisté davantage à l'examen critique. Au contraire, d'une foule de recherches faites depuis une cinquantaine d'années est sortie peu à peu l'idée, aujourd'hui solidement établie, que le travail sécrétoire consiste en des phénomènes chimiques, dont la nature a pu même quelquefois être déterminée, qui se passent dans l'intérieur de la cellule glandulaire 1. En même temps, on reconnaissait que l'activité sécrétoire est en grande partie sous l'influence du système nerveux. Toute la question, si importante, des nerfs excito-sécréteurs et des conditions dans lesquelles fonctionnent les glandes, date surtout des belles expériences de Ludwig (1851) sur l'influence de la corde du tympan sur la sécrétion de la glande sous-maxillaire et de celles de Claude Bernard sur l'action vaso-dilatatrice de ce même nerf (1852-1858). Plus tard, les expériences de Vulpian (1874-1875) concernant la suractivité de la sécrétion sudorale à la suite de la section du nerf sciatique nous ont indiqué l'existence, à côté des nerfs excito-sécréteurs, de nerfs fréno-sécréteurs. Cette dernière question est encore à l'étude. 1. Il est vrai que cette théorie ne constitue pas en réalité une explication de la fonction cellulaire. D'où vient, en effet, aux glandes « cette énigmatique faculté de choisir, de s'assimiler certaines substances du sang, de repousser les autres »? <<Bien plus, nous voyons les cellules transformer par dédoublement et par synthèse le matériel assimilé, évacuer certains produits, toujours les mêmes, dans les canaux excréteurs des glandes, et rendre le reste au sang et à la lymphe. >>> (BUNGE, Cours de chimie biol., trad. franç., 1891, p. 5.) << Chaque cellule a le pouvoir d'attirer ou de rejeter, suivant ses besoins, certaines substances, et de les séparer dans des directions différentes. » (Id., Ibid., p. 149.) Assurément, il y a dans cette spécialisation fonctionnelle des cellules glandulaires quelque chose de très mystérieux, à moins qu'il ne faille simplement en chercher la cause dans des arrangements moléculaires variés du protoplasma cellulaire, d'où résulteraient des propriétés physico-chimiques différentes. III Le chemin que nous avons suivi jusqu'ici peut paraître assez détourné; il ne nous en a pas moins mené sûrement au point que nous voulions atteindre. Il nous est, en effet, assez facile maintenant, en embrassant d'un coup d'œil tout ce développement de nos connaissances sur les glandes, de nous faire une idée nette de ce qu'est une glande. C'est un organe de forme variable, constitué par des cellules épithéliales, qui par une opération chimique séparent du liquide sanguin des matières diverses, ou élaborent aux dépens de leur propre substance des produits de nature diverse et doués d'une action chimique spéciale, et qui sous l'influence du système nerveux déversent hors d'elles-mêmes ces produits, quels qu'ils soient. Vous voyez que cette proposition est moins une définition qu'une conception très générale. Telle est cette conception que le domaine des fonctions glandulaires paraît s'étendre indéfiniment. Car il n'est pas de cellule vivante qui n'élabore quelque produit, soit d'une façon continue, soit à une phase seulement de son existence. On est donc en droit de se demander avec Ranvier 1 si le phénomène par lequel la cellule musculaire se charge de myosine et, quand cette substance a été épuisée, la régénère, n'est pas un acte sécrétoire; il en est de même de la série des transformations que parcourt une cellule du corps muqueux de Malpighi pour devenir cellule cornée. Il serait facile de multiplier ces exemples. Ainsi apparaît tout de suite une grave difficulté; si on conçoit la nature des glandes de la façon que nous venons de voir, - et il semble bien qu'on ne puisse actuellement s'en faire une autre et plus claire idée, - il n'est pour ainsi dire pas d'organe qui ne soit en quelque mesure ou à quelque moment glandulaire. Contrairement à ce que les logiciens nous disent, il s'agirait ici d'une notion à la fois et en même temps très compréhensive et très étendue. Cette difficulté peut être résolue au moyen d'une distinction physiologique. La caractéristique de l'élément glandulaire ne doit pas être exclusivement cherchée dans le fait, quelque essentiel qu'il soit, de l'élaboration de principes immédiats sous l'influence de l'activité 1. Leçons sur le mécanisme de la sécrétion (Journ. de micrographie, 1887, t. XI, p. 14). |